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Carnets de « Voyage en Irréel » #0

Il était une fois... Dans cette série "carnets", toute l'histoire de "Voyage en Irréel", livre écrit à quatre mains avec Nicolas-Orillard-Demaire. Depuis avant l'idée jusqu'à après l'objet !

Au commencement était l’envie…

L’idée de départ vient rarement avant la fin. On commence, puis on discute, on cherche, on réfléchit, ça évolue, ça se mélange avec d’autres idées, ça perd une aile pour gagner une patte. Écailles, plumes ou fourrure épaisse, c’est bancal, c’est pas beau, ça donne envie de laisser tomber, mais quand même pas complètement, alors on s’accroche, on corrige, on gomme, on rature, on enlève, on rajoute. L’idée de départ n’est un bel animal, fin et futé, qu’une fois le projet terminé ou presque. 

Au départ pour ce « voyage en irréel », il n’y avait pas une idée mais simplement une envie. Quelque chose de vague, de brumeux, de liquide et d’insaisissable, qui devait prendre de la consistance et de la densité au fil des réflexions pour pouvoir exister, pour qu’on puisse en parler. Et cette envie de départ était double. Celle de Nicolas et la mienne. Nébuleuse des deux côtés, mais pas pour autant dans les mêmes tons. Depuis longtemps on en discutait, sans savoir exactement ce qu’on voulait et sans avoir les mots justes pour en parler. Un livre, textes et photos, nature, évidemment, mais rien de moins vague. On y pensait chacun de son côté, sans que le projet commun avance le moins du monde. 

Dans l’envie de départ il y avait des modèles, qui donnaient des teintes, des formes, des rythmes et des notes, une toute petite musique, qui nous attiraient et nous repoussaient en même temps, qui inspiraient mais incitaient à faire autre chose pour changer, pour se démarquer pour offrir quelque chose d’autre. Offrir, c’était ça, il fallait donc que ce soit beau. Offrir quelque chose de beau. La nature comme base était une évidence, on n’en a même pas parlé.

Petit à petit nous avons procédé par élimination, faire la liste de ce que le livre ne serait pas. Le livre ne serait pas un carnet de voyage, Nicolas Bouvier, le duo Tesson-Munier étaient loin devant, et on n’avait pas voyagé ensemble, Nicolas et moi, juste quelques balades. Pas un livre explicitement militant non plus, même si l’état actuel de la nature l’aurait justifié, on voulait quelque chose de plus doux, moins frontal. Au moins dans la forme. Pas une histoire illustrée de photos, ou des images commentées. Textes et images devaient avoir la même place, se répondre sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre. Pas des histoires sous forme de petites nouvelles comme dans le blog de Céline Jentzsch, chacun son concept. 

On a cherché. 

Et puis on a été confinés.

On avait, Nicolas et moi, moins de travail et davantage de temps pour réfléchir à cette envie commune. Quelques textes de mon côté sur les photos du Kenya de Régis Derimay, « challenge Kenya ». Un texte et une image chaque jour pendant 30 jours. Un rythme s’était installé, et ce rythme-là je savais que je pouvais le tenir, à condition ensuite, pour en faire un livre digne du papier sur lequel il serait imprimé, de rajouter une bonne dose de relecture, retravail, réécriture, reformulation et, si besoin, recommencements. Le temps, c’est important…

Sur Facebook à peu près au même moment, Nicolas a posté des séries d’images. Voyage au Japon, voyages en Afrique, chez les lions et les éléphants, voyages tout au nord, chez les aurores boréales, voyage en duos, voyage en coucher de soleil… et, voyage en irréel.

Images irréelles, textes au format court, entre une, deux, trois dizaines de lignes, une petite page environ. Sur chaque double-page, une image et un texte. Une page chacun, égalité et dialogue. On tenait le contenant avec son étiquette, le plus difficile était fait, il fallait maintenant s’occuper du contenu…

Et toujours le site de Nicolas, au cas où… : http://nod-photography.com/

Carnets de « Voyage en Irréel » #-1

Il était une fois... Dans cette série "carnets", toute l'histoire de "Voyage en Irréel", livre écrit à quatre mains avec Nicolas-Orillard-Demaire. Depuis avant l'idée jusqu'à après l'objet !

Nicolas Orillard-Demaire est photographe, je travaille dans un labo de tirages d’art, c’est donc le papier et les images imprimées qui ont fait notre rencontre.

 

Les premières images de Nicolas que j’ai vues et qui m’ont marquée étaient deux images d’oiseaux. Tout d’abord celle qu’il utilise pour le représenter, son avatar sur les réseaux sociaux, le portrait du macareux, strictement de face, bec bariolé, plumage de soirée, retour de pêche avec le bec rempli de petits poissons bien alignés, droite, gauche. Il y a beaucoup à y lire sur l’oiseau en gros plan, habitudes alimentaires, plumage, bec, yeux… mais on est bien au-delà de la photo naturaliste. On est dans ces portraits qu’on allait faire faire pour les grandes occasions dans la boutique du Photographe de la ville et où on venait rechercher un peu plus tard une pochette en carton précieux, blanc ou crème, avec le nom du photographe ou de la boutique écrit en lettres ouvragées, souvent dorées, parfois noires, mais toujours très travaillées. À l’intérieur, une pochette de cellophane protégeait le cliché. Démesurément petit par rapport à la pochette, bords découpés, surface brillante, lisse et raffinée, d’un noir et blanc chaud, le portrait de l’aimé ou de l’aimée qu’on allait encadrer, garder dans ses archives ou dans son portefeuille. Là, c’est un macareux, un oiseau. Fond crème, air grave, lumière douce. Bien avant d’être un portrait d’oiseau, un portrait.

 

Toujours le portrait d’un oiseau pour la deuxième image, un fou de Bassan. Plus moderne, fond bleu sombre avec pastilles plus claires, juste la tête, strictement de face, et surtout, la plume ! Le clin d’œil de l’oiseau trop sérieux et trop fier de son trophée qui nous fait sourire, cette plume démesurée dans le bec, l’air grave, saisi en star qui poserait pour un magazine de mode dans le studio branché d’un photographe renommé. Avec juste le décalage qu’il faut, ce petit décentrement des pupilles qui le ferait presque loucher, qui pourrait lui donner le côté trop apprêté du gentil simplet en habits du dimanche, lui, l’un des oiseaux marins les plus fins et les plus majestueux en vol, il a ici un petit air gauche d’albatros baudelairien. Pour finir, évidemment, le symbole de la plume, image éculée pour parler d’écriture mais qui prend là un sens nouveau, plein de fraîcheur et d’ironie. C’est l’image de bandeau du site des Enlivreurs, et ce n’est pas un hasard. Merci Nicolas !

 

Pour le reste, de rencontre en rencontre, des affinités communes, notamment pour la nature et le papier, nos sensibilités et des goûts communs ont joué. Moments partagés autour de tirages, d’assiettes et de verres, expositions, festivals ou balades par monts, vaux, bords de mer ou forêts. Mais j’ai surtout eu l’occasion de voir Nicolas travailler, assister à ce moment où le photographe prend le pas sur l’humain : une distance dans le regard désormais concentré sur l’image, une sorte de brume tout autour du duo qu’il forme avec l’appareil, une façon d’appartenir au paysage, des gestes sûrs et précis pour manipuler objectifs et filtres, les doigts qui se posent exactement sur les boutons et les molettes, une façon de se déplacer tout en souplesse quand les pieds doivent se débrouiller sans l’aide des yeux. Et le silence. Appelons ça maîtrise, concentration, attention. Professionnalisme ? Inspiration ?

Le fait d’être sur place au moment de la prise de vue m’a permis de mesurer le décalage entre la réalité et l’image créée par le photographe, de voir tout ce qu’il avait ajouté d’une histoire qu’il voulait raconter. Il joue avec nos repères, nos références, nos a priori, par le choix du cadrage, du premier plan, de la vitesse pour donner un flou ou de la profondeur, des filtres qui équilibrent les lumières et donnent « l’ambiance ». Bien sûr il y a toujours le lieu, le sujet, mais c’est simplement un point de départ pour nous emmener beaucoup plus loin, jusque dans son monde à lui. L’administration place des photographes parmi les artistes-auteurs. C’est ça, Nicolas est un artiste.

 

Affinités, points communs, références qui se répondent, et l’envie de faire quelque chose en commun, un mélange, une conversation. Photos et textes. Restait à trouver la forme adaptée à cette envie, l’idée de départ…

Pour les images, le site de Nicolas : http://nod-photography.com