Archives de catégorie : Pense bête

Liens

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Lierre, liseron, liane, ils ont tous dans l’idée de se lier, de s’allier, de nouer des relations, en bref, créer des liens. Des liens en vrai de vrai, solides comme des ponts, un tour mort deux demi-clés qui n’ont jamais lâché, l’huitre sur son rocher ou ces chaînes qui enchaînent. Les plantes font plus subtiles, elles s’accrochent, elles s’agrippent, mais à leur rythme à elles, elles s’enroulent, se cramponnent. Elles construisent patiemment, un réseau très pointu, sophistiqué, subtil, comme les vrilles de la vigne ou les crampons du lierre, ces ventouses délicates, petits bras qui embrassent les bien plus grands que soi, qui font encore du vert sur ces arbres, qu’on dit morts. Parfois les liens des plantes passeront par le sous-sol, de racine à racine, ces branches souterraines. Entre arbres et champignons, on connaît bien l’histoire et on se réjouit des fruits de leurs dialogues autour d’un panier plein des chapeaux veloutés et des ronds pieds charnus qui finissent dans la poêle les jours humides d’automne. Parfois, les liens seront moins facilement visibles. Poivron et aubergine se rejoignent d’évidence dans les casseroles d’été, comme le piquant piment ou la douce pomme de terre, leur lien est botanique, ils sont solanacées, tout comme le tabac ou bien la mandragore qu’il vaut mieux éviter de mettre dans le caquelon. Les liens de la famille qu’on dit les liens du sang, même s’ils sont des liens forts sont rarement sans frottements tels un long fleuve tranquille. Comme ces liens qui assurent la cordée d’alpinistes ou les entraves posées aux chevilles des esclaves, le lien pourra avoir des nuances claires ou sombres. On souhaitera parfois sectionner certains liens qui nous traînent en des lieux qui ne nous conviennent pas ou en conforter d’autres qui s’étaient détendus. Les liens chez les humains se construisent souvent à travers le langage, et de fil en aiguille, par le biais bienvenu des allitérations, on vient enfin au livre, comme un lien fort et clair qui réunit qui lit avec qui a écrit, ligotés par les mots, les phrases et les histoires qui s’alignent sur les feuilles du bord coupé des pages jusqu’à la reliure

Et pour les liens modernes , voir cet autre article des Enlivreurs, récemment mis à jour.

Eau

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Une goutte comme un o ce serait quand même trop simple, alors l’eau a trois lettres pour faire le seul son o. Pour qu’on reconnaisse enfin, sa si grande valeur, son importance première. Cette eau qui est en nous, qu’on aime autour de nous, condition nécessaire et souvent suffisante. On aime le bruit de l’eau, goutte à goutte sur la mousse là-haut dans la montagne, torrent qui batifole, sautille entre les pierres et se joue des branches d’arbre qui tombent dans son lit, les embarque, joueuse, dans une folle sarabande. On aime tremper ses pieds dans l’eau fraîche du ruisseau après une belle balade, juste y tremper la main comme on enfile un gant quand le froid nous saisi et saisit une à une chacune de nos phalanges, chaque jointure une à une pour les habiller de bulles comme d’autant de brillants. On aime aussi les vagues, s’y plonger en entier, y faire le papillon ou au moins essayer, bien loin des nages subtiles et tellement efficaces des animaux marins. On aime humer l’eau, la goûter, juste la boire quand elle n’a pas d’odeur, un subtil goût de frais loin du nauséabond ou même de l’eau de javel. L’eau, la plupart du temps laisse passer nos regards en les déviant à peine, mais parfois elle se fige en une surface rebelle qui va tout renvoyer, y compris la lumière et renvoyer l’image telle qu’elle l’aura reçue, à une symétrie près. Magie de sa surface qui accepte, dans un plouf, qui lui tombe dans les bras, sauf bien sûr ce qui flotte, le léger ou le creux, nos radeaux, nos bateaux. C’est bien ça son problème, elle est trop accueillante. Malgré tout ce qu’on lui jette que ce soit bon ou non pour sa santé à elle, elle nous prend sur son dos, il suffit simplement de quelques lettres en plus, pour qu’à partir de l’eau on construise un bateau. Pour déclarer nos flammes, à l’eau, même la plus simple, sans qu’elle soit de jouvence ou claire comme de l’eau de roche, il nous faudrait des meauts et pas seulement des mots, pour dire qu’encore pendant longtemps, disons une bonne poignée de longues éternités, on souhaite vivement qu’elle continue toujours à juste couler de source sous tous les ponts du monde

Marmotte

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

C’est la reine des alpages, pelage beige, gris, brun sombre, petites oreilles, yeux noirs, et museau expressif, silhouette replète à la fin de l’été, curieuse et facétieuse, elle nous plait beaucoup trop, qualité dommageable pour sa tranquillité, mais aussi sa santé et son identité. On l’utilise partout pour des publicités, pour l’image qu’on s’en fait, pour ses deux petites mains qui tiennent les aliments qu’elle grignote à belles dents et qui nous ramènent loin, bien avant les cuillères, quand, encore tout bébés, mordiller les objets nous était naturel. C’était les temps anciens où on était marmot. Marmot, marmotte, masculin, féminin, analogie trompeuse, quelques liens en commun, mais pas tant qu’on croirait. Un marmot c’est aussi, côté architecture, une figure grotesque qui fait décoration, et en particulier, pour les heurtoirs de porte. De la figure grotesque jusqu’au petit enfant, on comprend le glissement en y ajoutant juste ce qu’il faut d’ironie, évitant par là même le trop mièvre du poupon. Reste la question du genre, marmot pouvait servir même pour les petites filles, avant que le binaire ne fasse obligation, dictature génétique bien éloignée parfois du ressenti de chacun. Le marmot ferait office du neutre du mot allemand, qui assume avec Kind, un genre qui laisse la place à plus de réflexion et offre à sa grammaire une solution médiane, une place au débat, aux opinions pesées, qui admet la virgule entre zéro et un. On pourra marmonner que les lois grammaticales sont dures, mais sont les lois, mais qui écrit, parfois, se retrouve confronté à des cas délicats où on aimerait avoir plus de cas, plus de choix, des mots plus adaptés à ce que l’on veut dire, à la façon de le dire quand manque la nuance, le ton, la demi-teinte. Alors comme la marmotte qui mâchouille son brin d’herbe, on mâchouille nos mots, mais reste quand même parfois un petit goût amer qui n’aurait pas pris place au milieu de nos phrases si les règles de grammaire avaient suivi de plus près l’évolution des temps

Image

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

C’est une question d’image, de représentation. Sage comme une image, il regarde son écran, ne bouge pas d’un poil, ne remue pas un cil, immobile et figé. Il regarde son écran, l’écran qui fait écran entre lui et le monde. Il regarde son écran, privilégie l’avenir, l’image qu’il peut revoir plutôt que celle à vivre, au présent de maintenant. Dans l’avenir, son présent, en regardant l’écran sera devenu passé. L’image fait décalage, elle joue avec nos temps. L’image fait référence, elle renvoie aux moments qu’on a vécus avant, moments vécus par d’autres, aussi avant maintenant, elle interpelle nos têtes, nos souvenirs, nos rêves, réveille nos émotions. Souvenir de balade, montée raide sur la crête et en haut découvrir des chamois tout tranquilles qui broutent en contrebas, s’arrêter sur une fleur et sur le paysage, tacheté par les nuages, en volutes, en pétales, vallée en perspective avec l’eau qui s’écoule dans le creux de ses mains, le doux vert des alpages, quelques buissons plus sombres, arbres aux ramures tordues, torturées par l’hiver et le poids de la neige. Quelques rochers aussi pour ne pas oublier le socle minéral qui façonne le relief de sommet en vallée. Image en métaphore quand on n’a pas le souvenir, quand il suffit d’un mot pour se faire tout un monde, quand on lira vallée, on aura tous en tête deux rives en pentes vertes et de l’eau tout en bas. Toutes ces images d’avant font appel au passé, au souvenir, aux traces et à nos références mais parfois c’est l’inverse, l’image vient en premier, elle commence dans une tête, dans un imaginaire. Ce serait d’abord une île, rocher noir sur mer sombre et sous un ciel de plomb, avec en son sommet juste le point blanc d’un phare, tout au nord de l’Écosse. Image de départ qu’il retouche comme il veut, comme il en a envie et comme il s’imagine une île des Caraïbes, sable blanc et palmiers, et puis bien sûr pirates pour mettre un peu d’action, et il en fait un livre et c’est l’île au trésor. Entre image et magie, il n’y a qu’un i d’écart au jeu des anagrammes, à chacun de choisir où il mettra cette lettre suivant sa perception du temps qui est passé et puis qui passera, mais qui ne repassera pas

La symétrie

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Une tige végétale, rectiligne, au moins fil, si elle n’est pas toute droite, alors suivre la route, et puis de chaque côté, une feuille, une feuille, une feuille et tout au bout, une feuille. Une feuille symétrique qui se plie sur elle-même comme on prend dans ses bras, nervure contre nervure en laissant au sommet, une artère centrale, une colonne vertébrale, une arête bien spéciale, ou ces muscles si puissants qu’ils font bouger les ailes et soulèvent dans les airs des oiseaux tout entiers. Symétriques les épaules larges et fortes des nageurs qui papillonnent en chœur quand l’insecte délicat arbore un tableau de maître sur chacune de ses ailes, symétrie dès qu’on pose les yeux autour de nous, sur les oreilles du chat, le lac et ses reflets, les deux yeux ronds d’une mouche, ou le prénom d’Hannah qu’il soit dit ou écrit en lettres majuscules. Symétrie dans les airs des insectes aux oiseaux, symétrie dans les eaux, des nageoires des baleines jusqu’aux pinces du crabe. Par rapport à un point, à une droite ou un plan, la symétrie est là pour simplifier le dessin, la moitié d’un visage et l’autre par symétrie, symétrie si présente qu’on pourrait presque croire qu’on peut connaître le monde en visitant seulement un de ses hémisphères et savoir dans une guerre qui a raison ou tort en se fiant seulement à un unique son de cloche. Mais ce serait trop facile. L’humain est symétrique dans sa majorité, mais il n’a qu’un seul cœur placé d’un seul côté, nos deux pieds sont semblables, mais marchent en alternance et le livre grand ouvert n’a pas les mêmes mots écrits sur les deux feuilles qui se posent l’une sur l’autre quand on tourne la page. Il suffit finalement d’un tout petit grain de sable, un glissement si discret qu’on le remarque à peine pour que la symétrie devienne l’asymétrie. Le savoir, donc pouvoir tout autant s’en méfier qu’en profiter pleinement en pensant à l’image de ce fou de Bassan photographié de face, deux yeux, deux demi-crânes, et deux ailes symétriques, oiseau encore plus beau lorsqu’on fait son portrait avec la plume d’un autre calée au coin du bec

Pour le portrait du fou, dont je parle à la fin, c’est chez Nicolas Orillard-Demaire et en bandeau du site

Feuilles

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un 
peu trop vite

Feuille à feuille, mot à mot, les lire et les relire, en suivre les petites lignes jusqu’à la feuille suivante et le long du pétiole qui nous mènera au tronc, au mystère des racines, aux racines du mystère. Feuille de route, feuille volante, feuille simple ou bien feuille double pour les compositions en souvenir de l’école et de ces feuilles blanches qu’il nous fallait noircir comme les feuilles d’un livre quand les vraies feuilles dehors ondulaient dans le vent et chantaient leurs sourires pour nous réconforter à chaque coup d’œil furtif glissé par la fenêtre. Mélanger feuilles et feuilles en un herbier espiègle, entendre par écrit parler des arbres en vert, mélanger feuilles et feuilles pour le bonheur du vert, des feuilles qui vont par quatre chez le trèfle et tant d’autres, que l’on cherche en aiguille dans une meule de foin ou en phrase si belle qu’on en ferait citation tout en ayant, bien sûr, oublié de noter où elle était logée parmi le grand dédale de toutes les pages du livre. Mais ne pas croire, quand même, naïf ou encore vert, que toutes les plantes sont bonnes à se faire cuisiner, que toutes les feuilles de chou ont juré vérité, même si elles trompent rarement lorsqu’elles annoncent du noir, du terrible et des guerres quand les seules mortes qu’on aime ce sont les feuilles mortes qui nous parlent de l’automne, pour leurs couleurs de feu et leurs annonces de fruits. Alors sous les grands arbres, reprendre vie en lisant, rester dur de la feuille quand sonnent les lettres mortes et leurs fantômes pâles, avoir peur des pages blanches comme on a peur du noir dans l’enfance de nos nuits, aller chercher ailleurs d’autres pages plus suaves, ne pas juste lire en boucle des genres qui seraient l’air que la rainette recycle entre bouche et poumons pour nous livrer son chant, mais vivre le feuille à feuille en guise de bouche à bouche pour contempler le monde loin de toute feuille de vigne

Lieux communs

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Lieux communs, vieilles lunes et marronniers, poncifs, clichés, platitudes et banalités, idées reçues toutes crues en toute facilité, comme un plat préparé sans traçabilité. Sans y regarder de trop près, on pourrait faire l’autruche et ne plus y penser, penser juste au commun et se dire que c’est mieux, si on veut se comprendre d’utiliser les mots que les autres utilisent : c’est une lapalissade. Quelques tautologies, des fadaises réchauffées comme entrée en matière, pour faire socle commun ça paraît alléchant, mais encore faudrait-il, passé un certain point, quand même aller plus loin, trouver un lieu qui soit, quoiqu’encore lieu commun dans son vocabulaire, un peu nouveau pour tous. Quittons juste un moment, les bistrots, les troquets et la place du marché, lieux communs d’évidence. Partir loin du commun vers un lieu solitaire, sans aller jusqu’au large, aux eaux territoriales, aux déserts jaunes ou blancs, juste à côté de chez soi, même un square, même un parc ou un jardin public, un lieu frais sous les arbres, juste après un orage, les feuilles auraient encore des gouttes aux oreilles et des brillants aux branches, on se perdrait dans le vert, le foncé d’une forêt, le froufrou d’un grand lac caressé par le vent, lieu commun aux rêveries, clin d’œil aux romantiques. Partir d’un lieu commun et s’en aller ailleurs, les mots de tous les jours, les regarder vraiment, les entendre autrement avec notre entendement, aller chercher leur sens, caché ou usuel, commun ou littéral, strict ou métaphorique et s’en saisir pleinement, et quitter le lieu dit, lui faire dire autre chose que ce qu’on entend chez lui. Surtout se dépêcher d’aller aux dictionnaires, aux étals des libraires et aux bibliothèques, en faire lieux plus communs de ces lieux de lecture, y regarder de près, car le temps, l’assassin, qui fait tomber les feuilles dès l’automne revenu, transforme les lieux nouveaux si vite en lieux communs qu’il s’agit de chanter tant que l’été est là, on verra cet hiver pour danser s’il le faut quoiqu’en dise la morale de nos fables communes

Mon œil !

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Mon œil ! Tout, pour comprendre l’idée, est dans l’exclamation, dans le trait et le point, et dans le geste aussi, l’index sous la paupière qui dévoile un peu de blanc de notre œil pas si bête pour signifier à l’autre qu’on ne croit pas un mot de ce qui est énoncé, des promesses de carton qu’on voudrait nous faire prendre pour des lanternes vraies, de quoi nous éclairer, alors que finalement, en y regardant bien, on a tout de suite vu, on a tout de suite su, qu’il n’y aura plus qu’ombre dans la lumière promise et que ceux qui y croient se mettent le doigt dans l’œil. Que nos yeux soient de biche ou de braise ou de lynx dans tout ce qu’ils perçoivent viendra se faire un choix. De ce qui est devant nous, nos têtes reçoivent l’image, c’est à elles que revient la tâche délicate, compliquée, décisive, de choisir dans l’image ce qu’on en retiendra, la chose, la couleur, la forme ou le détail qui nous tapera dans l’œil. À nos entendements revient aussi le devoir de ne pas se laisser faire, ne pas croire qu’il n’y a rien, là, derrière le brouillard, que ce qui éblouit n’est souvent que renvoi d’une lumière lointaine, que les couleurs, parfois, ne sont pas celles qu’on voit, que le flou vient de nous et non pas des objets. Ne pas se laisser croire qu’un arbre seul sur la crête est le seul alentour, que derrière la petite butte il n’y a que du blanc tandis que sur la carte et dans nos souvenirs, le relief est tout autre, de pics et de sommets, de cols et de vallées, encore couverts de neige quand leur pente le permet, bien loin des myrtilliers et des rhododendrons aux couleurs chatoyantes et aux courbes avenantes. Saisissant tout ce qu’ils peuvent pour peu qu’on ne les ferme pas, nos yeux nourrissent nos têtes, tout comme nos papilles, nos oreilles, notre nez et le bout de nos doigts. Mais ils ne sont pas seuls, ces sens qui font le lien entre soi et le monde, et voir ce qu’on ne voit pas ça se fait grâce aux mots, qui sont et resteront pour tous ceux qui s’en servent loin des aveuglements et des facilités de qui se contenterait d’un simple petit coup d’œil, la prunelle de leurs yeux

Habiter

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Être au sec quand il pleut, être au chaud quand il gèle, être au calme quand il vente. Habiter la montagne ou le bord de la mer ou bien à la campagne ou encore dans la ville. Un toit et quatre murs, habiter en humain dans nos douces habitudes. D’autres habitent autrement. La plupart des autres bêtes qui vivent avec nous sur la peau de la terre, tout comme dans l’eau des mers, n’habitent pas du tout. Pour beaucoup ils occupent un morceau de savane, un creux dans le récif ou un bout de forêt sans jamais rien construire ou alors juste un nid pour faire naître et élever les petits rejetons qui complèteront l’espèce. Habiter dans un nid n’est pas toujours si simple, d’abord creuser le nid pour ceux qui sont des pics, ce sera dans un arbre que d’autres diraient mort, le creuser dans la terre quand on est macareux et qu’on veut habiter avec la vue sur mer tout en haut d’une falaise. Tous les nids ne se creusent pas, pour bien d’autres espèces, il faudra le construire, le bâtir, le tisser, le refaire tous les ans, l’arranger tous les ans, en changer tous les ans ou comme le coucou, aller pondre ses œufs dans le nid de quelqu’un d’autre. Car le nid des oiseaux, c’est juste une histoire d’œufs, une histoire de petits et le reste du temps, ils vivent au fil de l’eau, comme l’oiseau sur la branche, ils n’habitent pas vraiment, dorment à la belle étoile, que le temps soit clair ou non, un peu comme le nomade n’habite que ses habits, juste ce qu’il peut porter, en plus de ses idées, ses souvenirs, ses pensées qui ne le quittent pas. Habiter une idée, être habité par elle, lui faire une place de choix au milieu de sa tête, au cœur de ce qu’on voit, ce qu’on sent, ce qu’on goûte, qu’on touche et qu’on entend, de ce qu’on imagine, une cabane dans les bois d’où l’on part juste pour voir, où on revient chaque soir se blottir loin du noir, obsession comme un gaz qui prendrait toute la place sans jamais renoncer à la moindre parcelle de nos têtes, de nos mots, c’est comme quand on écrit, habiter dans son texte, être habitée par lui

Glace

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Cette eau frigorifiée, épaissie par le froid, affermie jusqu’au bloc est une affaire d’état. La glace pour son bleu, pour son froid, pour son blanc et puis son translucide, son brillant et son lisse. Si volontiers s’y perdre, s’y laisser endormir par le froid de l’hiver, se laisser attendrir par sa solidité, elle pourtant si fragile, qui se brise et se fond dans nos ébats d’états. Du liquide au solide, du solide au liquide le temps d’un chaud et froid, maladie de ces temps de changements dérangeants. On y perdrait le bleu où se perdent nos yeux, ce goût de grandes vacances en cornet ou godet et juste un peu plus loin, le doux réconfortant des ours du grand nord. Contradiction de nos vues, entre la bonhommie tendre du nounours des petits et le grand prédateur qui se nourrit de viande, de celle des bébés phoques aux yeux tout aussi doux. Lois loin de sentiments, manger ou bien périr, simplicités de ces vies qu’on entend barbouiller de nos affects d’humains quand eux y font survie, sacrifiés en jouets par nos incohérences. Se regarder soi-même dans la glace de nos vies, et se voir tels qu’on est pour mieux s’amouracher de la vie tout entière, pour mieux briser la glace et tomber dans les bras du dehors tout autour, qu’il mange ou soit mangé. Aimer la glace de loin et fondre sous son charme, tout en gardant sagement la distance qui s’impose, au nom des bonnes raisons, ne pas trop l’approcher, éviter l’évidence de câliner trop près, la prendre dans nos bras, aimer jusqu’à tuer. Alors, à contrecœur lui vouer pour toujours une tendresse à distance, un amour platonique, loin des yeux, près du cœur. Réconfort discordant de la savoir bien là, sans se permettre jamais de se rapprocher d’elle, se contenter, transis, d’une brûlure théorique, de l’idée de sa présence. La connaître seulement en images et en mots, il manquera le corps, mais la tête y sera, elle complètera, habile, les couleurs , les reflets, la transparente texture, elle donnera à la glace, sans crainte de déconvenue, de ce bleu des glaciers qui n’a rien à envier au plus mythique des bleus qu’est le bleu des lointains, le bleu d’un peu plus loin dans l’espace et le temps