Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors
Semaine de début de mi-mai un peu particulière. Une semaine, deux vallées. On commence dans un Beaufortain en brume, en vapeurs, en nuages nés de la terre, des rochers et des arbres. Des nuées vagabondes qui emmènent d’ici pour mieux déposer là au grès de leurs ondées. Une ambiance d’entre soi qui fait vivre en dedans un peu d’imaginaire en lisière du mystère de ce qui est caché, dévoilé, dérobé. Le moment idéal pour aller voir ailleurs. Ailleurs, mais pas trop loin, quelques vallées d’écart, quand même changement de cailloux, de paysages, de plantes et sûrement d’animaux, mais ils peuvent voyager et souvent le voyage fera air de famille. Changements de toits aussi. Un peu partout crépis, les murs en disent moins long que la forme des toitures et leur habit de tuiles, de tôles ou bien d’ardoises. Beaufortain et Savoie, c’est souvent de la tôle, ça convient à l’hiver, à la neige et aux pentes aux angles bien marqués. Coins coupés du Vercors et aussi du Trièves, puis un peu plus au sud, on passe aux tuiles canal, aussi dite tige de botte qui font tout de suite penser à Méditerranée. Maintenant place au calcaire, face aux toits en terre cuite, des roches claires parfois pâles qui racontent leur histoire en lignes tortueuses pleines de péripéties. Vallées creusées profond, parfois jusqu’aux falaises, aux gorges et aux grottes. Les gorges de la Méouge disent tout ça en détail avec pédagogie. Après ce défilé, les reliefs s’arrondissent et deviennent plus avenants, la vallée du Jabron est large et accueillante à quelques exceptions près. Les plantes qui poussent ici sont pleines de volonté en plus de la chlorophylle. Repousser les cailloux pour se faire une place, supporter chaud et sec pendant les mois d’été, mais aussi les hivers quand la vallée se tourne vers les sommets autour pour mieux se souvenir qu’elle est en altitude. Alors quand on est fleur se faire magnifique, se grimer en insecte, perfectionner au mieux les charmes les plus fous pour mieux se reproduire. Mais en ce mois de mai, interstice bienveillant, ni trop chaud ni trop froid, les arbres n’hésitent pas à se montrer eux-mêmes, faire preuve de fantaisie, d’originalité et presque de délire pour la couleur des feuilles, chaque arbre aura la sienne pour quelques semaines à peine, avant de revenir sagement au vert sombre pour résister au vent, ce mistral qui rend fou, au chaud et puis au sec tandis que fleuriront les lignes de lavandes au doux chant des cigales.
Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut
Barbe blanche, chevelure pâle, c’est sûrement un nuage déjà d’un certain âge. Savoir l’âge des nuages, question pas vraiment sage pour une réponse rapide, sans interrogations, sans prolongements possibles, probables et même certains. Quel est l’âge des nuages, ont-ils d’ailleurs un âge, est-ce que ça a un sens de poser cette question. Sujet bien délicat pour ces êtres changeants, qui filent et se déforment, se transforment, se scindent et se ressoudent, disparaissent, se gonflent jusqu’à devenir encore bien plus gros que des buffles, juste avant de pâlir, de se désagréger, de ne plus exister, à nos yeux d’êtres humains. Nuages de montagnes au-dessus des sommets, nuages chargés de sel sur les crêtes des vagues, nuages ivres de sables au-dessus des déserts, ils se ressemblent, s’assemblent et sont soit toujours jeunes soit toujours très âgés et juste réarrangés, chargés de tout ce qui, un jour, a croisé leur chemin. Si l’âge des nuages est chose trop compliquée alors juste revenir à l’image des nuages figée dans un cliché, un arrêt en image, existence éphémère, cycle de vie éclair, car c’est chacun son rythme, loi des saisons d’une herbe, d’une vie animale, de l’existence d’un arbre, d’une forêt, d’une montagne. Alors, pour le souvenir s’en remettre au cliché, à l’image, la photo, collection de nuages comme des portraits de famille. Des plaques d’Alfred Stieglitz à ce qu’on peut découvrir au milieu des fichiers de nos images numériques découpées droit dans le ciel un de ces jours sans plafond, sans canopée, sans toit. Alors de ces jours-là se faire un peu solitaire, presque un peu étranger au doux ronron des jours qui viennent l’un après l’autre, réguliers, identiques, sans jamais de faux pas, ni de pas de côté, se faire comme l’étranger, celui qui n’a pas d’âge, celui de Charles Baudelaire dans le Spleen de Paris : Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. Tes amis ? Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu. Ta patrie ? J’ignore sous quelle latitude elle est située. La beauté ? Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle. L’or ? Je le hais comme vous haïssez Dieu. Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !
Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors
Une semaine de début mai qui pourrait presque se prendre pour une journée d’été. Une journée de fin d’été, une journée de mois d’août déjà fraîche le matin, rapidement de retour du côté de la chaleur par le rond disque jaune au milieu du ciel bleu, puis le chaud un peu lourd et les nuées qui montent, se rassemblent, s’accumulent jusqu’à se faire orage, pluie, vents et même éclairs. Et à la fin de la semaine, plus humide, plus frais et puis l’air dégagé des poussières qui filtraient à faire pâle l’intense des couleurs. On se rapproche du loin, jusqu’à penser le toucher. Chaleur un peu précoce ou juste qui nous surprend, source d’intranquillité, de pas comme d’habitude, de changement un peu brusque qui fait effet de surprise trop loin des souvenirs qu’on garde de cette période dans un coin de nos têtes. Les vêtements qui d’un coup ne sont plus adaptés, et pourtant, ce plaisir indéniable des journées qui rallongent et gardent pour le soir encore un bout de jour, desserrent un peu l’étau de la lumière qui file pour rejoindre la nuit nous laissant sans la vue, humains intoxiqués, esclaves du visuel, plus vraiment en mesure de faire sans leurs yeux. Réchauffement bienvenu pour ceux qui vivent l’été et ne vivent que l’été, parmi eux des insectes, et même beaucoup d’insectes en ce moment petits, encore presque bébés qui sèchent leurs enveloppes aux rayons du soleil et aux souffles du vent. Des papillons tout jaunes qui volettent par deux, et les premiers moustiques et nos premiers boutons. Un peu partout le dehors sort doucement de l’enfance pour entrer tranquillement dans l’âge adolescent. Pour les feuilles des arbres, c’est déjà ou bientôt la forme des adultes, manque encore l’épaisseur et un peu de dureté qui les feront résister aux chaleurs, aux orages et aux coups de vent mauvais. Graminées encore souples qui se courbent sous le poids de leurs nouveaux toupets, vagues qui se déroulent, s’enroulent et se déroulent au moindre souffle de vent pour peindre un paysage qui en rappelle un autre et faire d’un large champ d’herbes, une marine authentique. Réchauffement bienvenu aussi pour nos narines qui goûtent goulûment les odeurs des fleurs au-delà de leur couleur, comme l’odeur du lilas qui se rappelle au nez autant qu’à nos pupilles. Odeur également qui vous cueillent par surprise au détour d’un sentier dans le sombre du sous-bois, pensées de parfums subtiles qui détourent un visage ou bien de doux goûters à peine sortis du four comme ces fleurs de houx qui viennent repêcher, loin dans mes souvenirs, l’eau de fleur d’oranger des gâteaux, des brioches.
Lerwick — Sumburgh — Sumburgh Head — Jarlhof — West Voe Beach — Boddam — Scousburgh — Levenwick — Netherton Burial Ground — Sandwick Easter Quarff — Lerwick Port
Carnet du voyage aux Shetlands de S et N
On les voit depuis n’importe laquelle des fenêtres de Lerwick qui donnent sur le port. Arrivés dans la nuit ou bien très tôt le matin, un immense bateau de croisière, empilement de ponts comme des étages d’immeubles, cheminées, radar, passerelle, antennes et une toute petite coque qui paraît minuscule sous autant de niveaux. Et dans une autre partie du port, plus près de la ville, les mats élancés du grand voilier école polonais, le Dar Młodzieży.
Dans les dépliants destinés aux croisiéristes, sont conseillées la visite de Lerwick, boutiques de souvenir, cafés, restaurants et le musée avec les archives des Shetlands où il est possible de profiter d’une « attraction touristique multifonctionnelle et d’une expérience interactive ». La population de Lerwick est d’environ 7000 habitants, le nombre de passagers sur le bateau amarré ce jour dans le port est de 3560 passagers. Augmentation conséquente, à chacun ensuite d’y voir une opportunité économique ou un poids écologique et démographique disproportionné.
Pour nous ce sera plutôt visite du sud de Mainland, Direction Sumburgh par la principale A970. Le grand phare du sud de l’île, celui que voient tous les bateaux arrivant sur l’archipel par le sud. Oui, même par temps de brouillard on voit ce phare, mais avec les oreilles grâce à sa corne de brume qui rugit pour prévenir ceux qui s’approcheraient trop. Un phare de plus construit par la famille Stevenson, Robert pour celui-là, le grand-père du Robert Louis de l’île au trésor et premier de la dynastie des Stevenson, ingénieurs des phares et balises à qui on doit la conception de la plupart des phares écossais et plus généralement, du nord des îles britanniques. Mais Sumburgh Head n’est pas qu’un phare, c’est aussi un endroit connu de la plupart des gens qui vivent, passent ou sont passés aux Shetlands. Sumburgh Head c’est d’abord l’aéroport le plus grand et le plus actif de l’archipel. Actif, mais à l’échelle des Shetlands puisque la densité du trafic permet quand même de suivre la route A970 et de traverser en voiture la piste pour aller plus au sud. Regarder d’abord à droite puis à gauche et inversement avant de traverser, car les avions, qu’ils soient de Grande-Bretagne ou d’ailleurs, atterrissent normalement au milieu de la piste.
Juste à côté des modernes avions, les ruines préservées et aménagées d’un village préhistorique de l’âge du fer avec des habitations rondes construites en pierres. Construire en rond, ça ne se fait plus de nos jours, et pourtant, ça a des avantages. Pour la construction elle-même, pas de coins, d’angles, de pierres d’angles à trouver, à sélectionner, toutes les parties du bâtiment ont la même résistance, ce qui n’est pas le cas pour les édifices rectangulaires, comme en témoignent les nombreuses ruines rencontrées sur l’île ou ailleurs. L’organisation à l’intérieur semblait aussi plus rationnelle, plus égalitaire : le feu au milieu et tout le monde autour, dans des alcôves dont les cloisons devaient aussi servir à soutenir le toit, (toit dont la nature et la réalisation pose encore questions), ce qui évitait les discriminations, la chambre humide et sombre tout au bout du couloir et donc bien plus éloignée que les autres du feu qui réchauffe et des conversations qui éclairent et construisent. Alors pour habiter, plutôt rond ou carré, les yourtes et les igloos ont choisi la forme ronde tandis que dans les villes on est plutôt carré, plus simple pour caser toutes les habitations en cohabitation avec murs mitoyens, économie de pierres. Choisir est toujours fonction des importances, des habitudes du temps, de ce dont on dispose et décider parfois, quand tous les choix se valent en fonction des options, peut très bien relever de la quadrature du cercle.
Une fois quitté le phare, et sa tour de forme ronde, ne surtout pas passer, tant qu’on est dans le coin, à côté d’une balade au pays des oiseaux. Le phare ou plutôt la maison du phare (rectangulaire), abrite aussi les bureaux et une boutique de souvenirs ainsi que le prêt de jumelles par la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds). Ici c’est une réserve, les oiseaux sont suffisamment tranquilles pour décider en nombre de nicher alentours. Suivant les habitudes, le nid sera construit au milieu des falaises, dans un replat de roche ou creusé dans la terre au sommet des parois avec vue sur la mer, comme chez les macareux qui arrivent sur les lieux en cette fin d’avril. Les jumelles aideront pour bien les repérer et les identifier, étudier en détails chaque comportement, peut-être voir dans les nids à la saison des œufs, ensuite les oisillons. Fous de Bassan, fulmars, cormorans, guillemots et puis les macareux et leurs becs colorés, juste se laisser porter à apprécier un vol, un virage serré, une plongée dans la mer, atterrissage parfait dans un endroit scabreux, décollage en douceur et vol, simplement vol, les suivre du regard dans leurs évolutions d’une élégance rare, propre aux oiseaux en vol.
Ensuite pour se dégourdir les jambes, puisque l’observation demande calme et immobilité, petite balade sur la plage de West Voe, en bordure de West Voe of Sumburgh, la vue sur le grand large, profiter du soleil à sa juste valeur dans ces terres qu’on devine souvent bien plus ventées et bien plus arrosées.
Retour vers le Nord, en direction de Boddam, puis crochet vers Scousburgh sur la côte ouest de l’île. Des murets, des moutons et du linge qui sèche, parfaitement défroissé par le vent, scènes maintes fois rencontrées à côté des maisons, deux piquets et un fil pour un peu de couleurs et de formes ondulantes qui nous racontent la vie des gens de par ici. Remontée toute tranquille, détour par Levenwick, puis Sandwick, Stove, avec un muret recouvert de lichens comme un crépi épais, comme la laine qui habille les moutons. Avec toujours en face des murets, des murs, parapets et murailles, cette émotion de penser à ceux qui ont construits ces empilements de pierres, choisir celle qui va bien, la reposer, en prendre une autre, la poser à nouveau, la retourner, la faire pivoter, essayer à côté pour voir si, des fois, ça ne collerait pas mieux, chercher des plus petites, plus fines, presque des rebus, pour caler les plus grosses, tester si ça tient bien, parfois tailler un peu quand on sait faire la taille, se reculer pour voir. Et puis recommencer, jusqu’en haut du muret qui maintenant prends la mousse, le lichen et le temps.
Toujours côté moutons, le ciel se fait nuageux et s’habille de sombre, n’encourageant pas trop à poursuivre la balade trop loin de la maison. Une occasion parfaite pour se promener pas trop loin du camp de base-pied à terre, pour aller visiter le Dar Młodzieży, le trois-mâts polonais toujours là, amarré tout près de l’esplanade du grand port de Lerwick. Contraste entre le bateau de croisière carré, avec ses étages empilés dans le fond du bassin, et les mats du navire école pris dans leur toile d’araignée de cordages, de poulies et de voiles soigneusement ferlées. C’est un navire école, ici on se construit une vie de marin, alors il faut apprendre et tout faire comme il faut. Ça sent aussi un peu le goudron, le sel, le chanvre des cordages, le bois humide. Peinture impeccable, cordages lovés, cuivres astiqués, importance du détail sur ces bateaux à voile où le moindre manquement à l’entretien de tout dans toute la minutie qu’il faut pour chaque détail, au rangement, au pliage, à remettre à sa place peut finir dans un drame en cas de mauvais temps, fonctionnement au plus près, du vent et de la mer, des forces parfois plus fortes que celles des marins, apprendre à faire avec. Même si sûrement plus tard, moteurs et mécaniques viendront se joindre aux forces qui propulsent le navire, quand les cadets tout beaux dans leur bel uniforme seront sur un autre bateau avec bien d’autres tâches que de regarder la mer, tranquillement appuyé sur un bastingage sombre et vernis de tout frais.
Toujours côté moutons, retour sur ceux du ciel dont le troupeau s’agrandit, devient vraiment très dense et de plus en plus sombre, sombre jusqu’à l’humide. Il pleut. Alors, profiter de l’abri de la fenêtre vue sur toits pour admirer les gouttes qui viennent dégouliner et brouiller les images de ce qu’on voyait hier sous le soleil et le sec. Se dire aussi que ce temps, humide, gris et pluvieux, d’après les statistiques, est souvent le lot commun des habitants d’ici, façon de partager un peu leur quotidien, front collé à la fenêtre, en position rêverie.