Archives mensuelles : septembre 2024

Automne

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

C’est l’automne. Nos nuits sont plus longues que nos jours. Toutes les couleurs chaudes se déposent sur les feuilles jusqu’à les alourdir des chaleurs de l’été, jusqu’à les faire chuter sous le poids de leur vie. Bientôt les arbres seront bois, apprêtés pour l’hiver. Un peu de nostalgie chez l’humain qui s’habille quand la forêt se dénude, en ces temps frais d’octobre quand toutes les teintes chaudes nous annoncent les airs froids. Les couleurs de l’automne sont aussi celles du feu qui viendra réchauffer les mains tendues vers lui, réconfort bienfaisant quand la nuit vient trop vite. Le feu qui s’occupera de ce qu’on met dans la poêle, de châtaignes ou de pommes pour en faire des repas comme on faisait avant. L’automne c’est la saison où on sort le panier, le couteau recourbé et le bâton gratouilleur : on va aux champignons. On mettra une bonne veste et des chaussures solides. Aller aux champignons n’est pas juste une balade, car ils poussent rarement au milieu des chemins, alors il faut fureter, aller s’entortiller dans les arbres tombés et les pentes un peu raides, déraper sur l’humide. Le nez au ras du sol et le dos tout courbé, on se dit que l’évolution, dans le cas des champignons, aurait quand même mieux fait de nous laisser à quatre pattes. Il y a les ombrelles jaunes, chapeaux pâles ou bien sombres, les brillants et les mats ou encore ces trompettes qui ont ma préférence, qu’on reconnait à leur forme et à leur velours sombre. Aller aux champignons c’est s’occuper de l’espace d’une façon différente, loin des chemins ou seulement en guise de repère ou pour faire le retour quand la lumière s’échappe et que le soir s’installe. Même sans regarder l’heure on pensera à rentrer, ce serait notre côté feuille, sensible à la lumière, peut-être la chlorophylle bien cachée dans nos têtes, ou le nitrate d’argent des photos noir et blanc, ou juste les pages du livre qu’il nous tarde de retrouver, car l’automne laisse le temps, avec ses nuits plus longues, pour des lectures plus longues, pour ne pas laisser longtemps nos pensées sans leurs feuilles, indispensables feuilles, que ce soient celles des arbres ou bien celles des livres

Chut !

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Chut n’a rapport au silence, comme un impératif, une incitation forte, un doigt juste sous le nez, que quand trône fort et fier, juste derrière le mot, un point d’exclamation. Sans ce i à l’envers, on n’est pas dans le calme, dans l’écoute de l’autour, dans l’attention au reste qui ne serait pas nous, on est dans le passé simple du joli verbe choir, qui nous ramène à chute, avec un e au bout. Un e qui ne dit pas le féminin de chut !, mais l’action de tomber. Pas tomber amoureux, mais s’étaler, valdinguer, se ramasser, prendre une pelle, une bûche, une gamelle, suivre, mais bien contre son gré « le mouvement vertical d’un corps se rapprochant du centre de la Terre sous l’effet de la loi de la pesanteur ». La chute de la pomme, l’étincelle de Newton, n’a souvent rien à voir avec l’idée de silence. La chute d’eau qui bouillonne qui rugit en torrent, qui transforme une nappe d’eau en gouttelettes, en écume, en brouillard, en cascade, c’est juste assourdissant, on n’entend plus que ça, on ne sent plus que ça, par les yeux, les oreilles, brume comme un lourd manteau sur le corps tout entier et l’odeur de l’humide qui emplit les narines. Chute des cheveux, chute de pierres, chute des feuilles en automne, toutes les chutes n’auront pas le même rapport au temps, au silence, au boucan, mais toutes ont en commun une attraction commune vers quelque chose de stable, loin de l’équilibre précaire des choses qui tiennent en l’air on ne sait pas trop comment. Histoire en équilibre où nous emmène l’auteur qui nous tient en haleine par des rebondissements, retours dans le passé ou autres coups de théâtre, pour nous amener enfin tout tremblants et pantelants de chapitre en chapitre et puis de page en page, voir de mot en syllabe, vers la chute de l’histoire, celle qui nous laisse à terre, comblés de mots, de lettres et de ces émotions qui nous pousseront toujours à reprendre un bouquin, à l’ouvrir tout fébrile, et à suivre l’auteur dans l’histoire qu’il nous offre pour le plaisir final, le plaisir de la chute

Limite

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Pour le texte d’aujourd’hui j’avais trouvé frontière. Mais frontière est pour moi un mot beaucoup trop sombre, politique et sanglant, guerrier et trop humain. En y réfléchissant, j’ai préféré limite. La frontière est limite, mais limite pas frontière sauf dans quelques cas rares pour nos vocabulaires, et beaucoup trop fréquents pour ce qu’ils produisent d’effets, politiques et sanglants, guerriers et trop humains. Alors plutôt limite, puisque j’ai le privilège d’avoir encore le choix. Limite mathématique qu’on n’atteindra jamais, mais qu’on ne dépassera pas, les limites du terrain qu’on trace dans la poussière d’un talon qui zigzague quand on a un ballon, la limite peinte en rouge sur des pierres et des arbres pour une propriété, qui n’arrêtera pas la promeneuse discrète qui ne fait que passer, ou la ligne d’horizon floutée d’une légère brume quand on regarde le large installée pour rêver sur une plage tranquille au lever du soleil, ou la laisse de hautes mers qui change de jour en jour en fonction des marées. Pas de grande déclaration, de traité ou de bataille pour la limite pluie-neige. Là haut ce sera blanc, solide et vraiment froid, et plus bas transparent, liquide et juste frais. L’être humain quels que soit ses désirs de frontières, de drapeaux, de puissance n’y sera jamais pour rien dans la limite pluie-neige ou la laisse de hautes mers, ou l’endroit où s’installent les huitres et les bulots qui vivent en liberté, les espèces qui poussent là et s’étioleront ailleurs, les oliviers du sud, les bouleaux du Grand Nord, les baobabs d’Afrique. Malgré ces limites-là, on trouvera toujours des névés dans les creux quand l’herbe tout autour est déjà haute et verte, anomalie heureuse pour les glissades d’été et l’eau qui se diffuse avec une sagesse lente plutôt que de ruisseler, de filer ventre à terre pour se tarir ensuite. De ces anomalies, points saillants, étonnants, remarquables, on fera des citations pour mettre au premier plan ce petit morceau de texte qui ne serait pas là s’il n’avait pas, un peu, dépassé la limite construite patiemment par le reste de l’histoire

Gris

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Juste gris, et rien n’est dit, il nous manque le précis, tant il existe de gris. Gris entre noir et blanc, gris entre bleu et pluie, le gris juste pour dire qu’on évite les extrêmes. Le gris du noir et blanc fera l’ombre ou le sombre, à nous ensuite de dire suivant le reste de l’image si c’est juste une couleur qui absorbe la lumière ou si c’est la lumière bloquée sur son trajet, qui n’arrive pas là jusqu’à la chambre noire, qui s’arrête bien avant. Le gris du noir et blanc, dans les images qu’on touche du début à la fin, c’est le nitrate d’argent et les jeux de la lumière, les bains aux odeurs fortes, la petite lumière rouge et les essais-erreurs qui vous font réfléchir et qui vous font grandir en connaissances des causes. On retrouve les anciens, eux qui savaient tout ça et savaient s’en servir, se servir de leurs mains autant que de leurs têtes. Ils sont éminences grises des tirages noir et blanc, du collodion humide, de leur grain de folie planté dans la science, qui les a fait penser du pansement au tirage. Parfois ça ne marche pas, c’est tout noir ou tout blanc ou il manque un morceau, ou alors c’est tout gris, mollasson sans contraste, on ne comprend pas pourquoi, on s’agace et on grince, on grommelle en dedans, on s’énerverait presque, alors on respire fort et on essaye ailleurs, mieux ou bien autrement, les dosages, les durées, cuisine à ne pas manger, adapter ses recettes, sans tomber dans le grigri, mais quand même se tenir à ce qui a marché même si on ne comprend pas, ni pourquoi ni comment. Et parfois l’image sort, elle est comme on voulait, comme on l’imaginait, c’est enfin une plaque qu’on ne grattera pas pour faire un autre essai, même on la vernira pour la garder longtemps. Alors on s’échappe loin, on pense pouvoir dire des millions de nuances, faire grise la souris verte, la nuit noire, le jour blanc, la chaleur d’un sourire ou le grave d’un regard avec ce qu’on trouvera entre le noir et le blanc, entre le blanc du papier et le noir des petites lettres qui donneront vie aux mots quand ils seront écrits

Tirage au collodion humide, réalisé en compagnie de Margaux Meurisse et grâce à Julien Dorol

Coquille

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

L’escargot, en photo, il n’est pas souvent beau : la photo a besoin de clarté, de lumière et l’escargot l’évite autant que la chaleur. Il leur préfère le frais et l’humide des jours gris, des longues journées de pluie, la rosée vivifiante du matin comme du soir. Pour passer les temps chauds ou quand le danger guette, il rentre ses antennes comme on fermerait les yeux et puis il se faufile jusque dans sa coquille. Une coquille en spirale, quasiment en hélice, un rêve d’aviateur que cette maison volante. D’autres bêtes à coquilles s’en servent autrement, la refermer très vite à la moindre inquiétude, la refermer très vite pour changer de territoire, en changer comme de chemise pour ne pas s’embêter à produire du calcaire, laisser faire ceux qui savent. La coquille peut sembler un refuge idéal, mais les moules et les huîtres pourront vous expliquer que ce n’est pas valable hors d’un monde idéal. Pour d’autres la coquille n’est qu’un moment de la vie, la coquille on en sort et on devient poussin, poisson, ornithorynque, animal en devenir, déjà plus si chétif. La coquille chez d’autres protègera la graine, fera office de rempart contre les dangers qui guettent les végétaux fragiles, lui laissera le temps de penser son avenir, noyer majestueux dans une vallée tranquille, qui donnera assez de fruits pendant un temps si long qu’il ne s’offusquera pas qu’un enfant visionnaire fasse d’une coquille de noix un vaisseau de haut bord. Pour les vaisseaux plus frêles, on parlera de canot, de barque ou de chaloupe car le terme coquillette est déjà pris ailleurs, il est marié d’enfance du jambon et du beurre. Coquille quand on écrit, c’est l’un des doigts patauds qui tout d’un coup dérape sur les touches du clavier, trahis l’inattention, le tunnel de pensée qui cache l’arbre tombé au beau milieu de la route. Alors il faut relire, vérifier, inspecter et encore contrôler jusqu’à ce que les coquilles se brisent et se concassent pour qu’enfin, d’un amas de mots creux, à force de ressac, de retours et de rouge, on en arrive à lire une immense plage de sable. Fin