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Fin juin 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Tempête de ciel bleu comme disent les photographes. De retour après quelques jours loin d’ici, ce qui me frappe, c’est le jaune. Canicule, chaleurs excessives, stress hydrique, le vert que j’ai quitté semble s’être dissocié, en bas le jaune des herbes sèches, en haut le bleu trop bleu du ciel sans un nuage. Changement de référence on passe en ce mois de juin du bleu comme couleur froide au bleu de carte postale façon vacances et plage dés le début de la saison.
Les arbres résistent encore, ils dispensent une douce ombre pour qui peut se déplacer. Mais pour les végétaux pas question de bouger. Alors, rouler ses feuilles, les vider de leur eau jusqu’à les faire jaunir pour préserver la tige, la racine, la matrice pour espérer renaître à la prochaine vraie pluie. Parce qu’il faut l’avouer quelques gouttes sont tombées, mais juste pour l’anecdote, pas une vraie pluie qui mouille, tout au moins par ici. D’ailleurs de gros orages sur une terre si sèche ne sont pas à souhaiter, ils emportent et arrachent qui ne tenait qu’à peine à un fil de racine entre fissure et poussière, jetant dans les rivières déjà bien surchargées, le bébé, l’eau du bain, la plante et puis sa terre.
Alors, attendre. Cette fois pas l’embellie, mais bien le gris de la pluie et de bons gros nuages qui cacheraient le soleil.
Certaines plantes continuent le cycle commencé, on ramasse les groseilles, les cassis, les framboises qui profitent du chaud pour mûrir sans attendre d’avoir vraiment atteint le diamètre optimal. Ce qui n’empêche pas de rêver confiture, de se faire les doigts bleus et de ne plus avoir faim au moment de manger pour cause de grappillage. Du côté des oiseaux on en profite aussi de ces baies bien visibles, un peu de concurrence alors en planter plus, à l’automne c’est boutures.
En attendant l’automne profiter des moments de lumière moins forte, avant autant qu’après la présence du soleil pour aller picorer toute la délicatesse d’un pétale de lys, l’odeur et le chiffonné d’un chaton de châtaignier ou juste tremper la main dans le frais du ruisseau. Et puis quand la chaleur devient vraiment trop forte l’idéal serait bien d’aller se mettre à l’ombre sous les branches d’un grand arbre en compagnie d’un livre, pourquoi pas d’un Balzac, de la comédie humaine alors que nos horaires d’êtres humains dits modernes ignorent superbement les rythmes de chacun et ceux du temps qu’il fait

Fin de mi-juin 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Une semaine à Paris, une ville, une grande ville, très grande, mais qui se laisse parcourir à pied, quand le temps ne presse pas trop et qu’elle donne l’impression d’être encore bien plus grande, un ensemble de petits mondes, avec juste quelques artères qui relient chaque morceau avec chacun des autres. Et parmi ces morceaux, les jardins et les squares, les petits groupes et les longues lignes d’arbres qui rendent les lieux vivables même par grosses chaleurs. On se demande bien comment ils peuvent survivre, ces arbres, avec le peu de terre qu’on imagine toute mince entre le goudron des rues et le métro des sous-sols.
Des arbres bien alignés, parfois de tout jeunes arbres au milieu des anciens, on imagine alors un ancêtre décédé qui a laissé sa place. Certains de ces tout jeunes ont du mal à survivre, les feuilles déjà cassantes, le vert virant au jaune. Températures trop chaudes, pas beaucoup d’animaux, grenouilles au bord de l’eau dans un étang tranquille du côté de Saclay, mais surtout des oiseaux dans les allées des parcs. Des pigeons historiques, les toutes nouvelles perruches, pas beaucoup de moineaux et puis quelques corbeaux, bec ouvert et à l’ombre, qui souffrent comme tout le monde, mais qui limitent leurs pas et encore plus leur vol et savent parfaitement que l’enfant qui les poursuit ne pourra pas franchir, la grille qui les protège désormais du marmot.
Et puis quand même parfois lever les yeux au ciel pour y voir des nuages, des tout fins et très hauts, mais des nuages quand même, un peu de blanc dans le bleu quand on préfère aller vite se réfugier à l’ombre loin de la lumière, et surtout de la chaleur qui la suit comme son ombre.

Début de mi-juin 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine coupée en deux, pour ce qui est du lieu, des ambiances, des décors : coupé en deux pour tout. Contraste montagne et ville, quelque jours de chacune et pas de transition, juste quelques heures de train, pas le temps de voir passer les changements par la fenêtre pour les yeux qui ne suivent plus, pour l’air qu’on aspire, les odeurs et les bruits. Entre montagne et ville, c’est presque un Nouveau Monde tant le changement est grand.
Alors avant de partir, bien regarder partout, volonté résolue de garder en mémoire, de ne rien oublier, de stocker et ranger dans l’efficacité. Alors viennent les questions, quoi garder et comment, aider un peu les yeux en prenant quelques notes, même une ou deux photos et puis devant la tâche, se concentrer quand même, oublier l’exhaustif pour faire plus que pointu sur un point bien précis. Leçon d’anti-précis donnée par l’atmosphère toute chargée de fumées, de sables venus d’ailleurs qui voilent, brouillent et rendent flous, grignotent les détails, les couleurs, les textures, nous parlent des distances qui se franchissent quand même quand on est particule chargée de ci ou de ça.
Alors, regarder près pour mieux se souvenir. Juste en face de la fenêtre, vit un grand châtaignier, ses fleurs sont déjà grandes, elles ont leur forme adulte, ne leur manque maintenant que l’éclatant du jaune, le parfum, le pimpant. Et puis se demander devant les grosses chaleurs que la météo annonce et les souvenirs trop vagues, si c’est le châtaignier qui sera le dernier des arbres des environs à se couvrir de fleurs. La réponse viendra seulement avec le temps, patience obligatoire, patience à réapprendre pour nous autres trop gâtés de réponses immédiates.
Pour le châtaignier et le reste, garder le vert comme repère, comme unité de mesure du murissement des fleurs, comme unité de mesure du vivable de la ville, une couleur comme un lien entre deux mondes distincts, la petite chose en commun qui évite qu’on ne souffre trop du mal du pays.
Première balade en ville par les monts et buttes, Butte Bergeyre, Buttes Chaumont, découverte d’un monde qui monte et qui descend, au son de voix amies, dialogues entre textes et pierres, les beaux mots tissés fins des humains entre eux deux, un monde d’escaliers et de cage d’escalier pour la géométrie et des marches et des rampes comme perspective de ciel. Des arbres aux bords des rues qui regardent passer les autos, les passants, dispensant gracieusement, tout en délicatesse dans les ombres de leurs feuilles, un peu de frais et d’ombre les jours de bien trop chaud. Pour le frais voir aussi du côté de la Seine, mouettes et goélands et même cormoran, mais aussi des canetons et des gens qui regardent les vagues des bateaux venir se cogner contre les berges emmurées. Ils regardent, ils observent, on pourrait aussi dire des rêveurs qui ne font rien, mais ce serait s’y tromper. Observer est un art, un art à consommer sans jamais se modérer.

Sens

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Lorsque sens a le sens de signification, on peut voir les nuages comme dans le « Paroles d’artiste » où parle Alfred Stieglitz :

Un homme (regardant un Equivalent) : Est-ce là une photographie d’eau ?
Stieglitz : Quelle différence cela fait-il de savoir de quoi c’est une photo ?
L’homme : Mais est-ce une photographie d’eau ?
Stieglitz : Je vous dis que cela n’a pas d’importance.
L’homme : Bon, alors c’est une photographie du ciel ?
Stieglitz : Il se trouve que c’est une image du ciel. Mais je ne saisis pas en quoi cela a la moindre importance.

Le sens d’une photo, une photo de nuage comme les images qui font les deux séries semblables, Songs et Equivalent chez Alfred Stieglitz, n’a pas toujours le sens que certains lui voudraient. Ni le sens, ni même le sens. Ni signification ni orientation, peut-être que les nuages n’ont, eux, aucun de ces deux sens. C’est un grand avantage, pas de sens, pas de contresens, pas de bon ni de mauvais sens. Là-haut dans les nuages, certains trouveront du sens pour dire la météo, pour prévoir les orages, le sec ou bien la pluie, mais d’autres verront des choses complètement différentes, voire pas de choses du tout, juste des émotions, des souvenirs, des pensées, des peurs ou des envies, des sourires pourquoi pas.
Pour un autre sens de sens, celui qui oriente, quand on regarde les nuages, on saura quand même bien où est le haut, le bas et la gauche et la droite ou bien l’est et l’ouest. Mais quand sur une image on ne voit rien de la terre, ni des arbres, ni de rien, c’est bien plus compliqué de choisir le bon sens. Un quart de tour à droite, demi-tour, symétrie, rien ne viendra ensuite dire que c’est le mauvais sens.
Quant à nos sens à nous, les cinq sens dont on parle quand on pense sensations, au pays des nuages posés sur une image comme c’est le cas ici, seule la vue nous aidera, pas de froid sur la peau, de vent dans les cheveux, d’humide qui enveloppe ou de souffle dans les arbres, sentir que le vent tourne, ne pas se sentir à l’aise quand ça n’en sent pas la rose. Devant une photo, les cinq sens bien souvent, donnent pouvoir à la vue.
Peut-être juste pas de sens pour les photos de nuages, chacun choisit le sens qu’il voudra bien choisir, on peut même voir la mer dans ce genre de photos, puisque comme dit Stieglitz, cela n’a pas la moindre des importances.

Début juin 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Orages, éclaircies et instabilité, plus de pluie que de chaud, plus d’eau que de soleil. C’est la fête pour beaucoup, amphibiens en premiers qui toujours redouteront d’avoir les pieds sur terre, mais aussi pour les autres, escargots et limaces, donc fête mitigée du côté jardinier. Toujours un peu la course quand deux espèces convoitent des ressources identiques. Partage, diversion ou bien assassinat, pas toujours aussi simple qu’on aimerait que ça soit d’être parfaitement fair-play autour de nos laitues.
Côté vie des petits, avec la chaleur, les insectes sont là. À feuilleter les guides, à regarder dehors avec curiosité, on découvre des vies, des formes étonnantes, des couleurs magnifiques, silhouettes fantastiques. Alors pour qui écrit on sent vite que ces formes peuvent servir de passage, de portes ou de fenêtres vers un autre univers, un monde fantastique. Pinces, mâchoires, carapaces, une échelle inversée nous ferait vite basculer dans un monde de hantises tant sont diversifiés les contours, les couleurs, attributs et outils donnés par la nature à ces petites bêtes dont on ne rêve pas souvent qu’elles deviennent trop grandes et viennent chatouiller nos peurs et nos angoisses dans ces nuits chaudes d’été et de fenêtres ouvertes, ouvertes à ces effrois qui nous démangent parfois. Des cauchemars à gratter comme des boutons de moustiques.
Alors, vouloir l’orage, ses vents qui éparpillent de leurs rafales brusques, pluies, averses de grêle, déluges et cataractes qui ramènent la violence bien au-dessus de nos têtes. Alors voir le dehors, mais depuis le dedans, voire derrière une vitre qui nous mets à l’abri, mais aussi qui nous prive des odeurs et des sons, qui sépare nos deux mondes, nous fait voir le dehors comme sur une sorte d’image dans le cadre de la fenêtre, un paysage photo qu’on pourrait découper et regarder plus tard dans un temps différent de celui que l’on vit. Mais toujours bien attendre, quand le ciel y consent, le rire de l’éclaircie qui peindra de lumière les nuages oubliés.
Malgré la météo, pas toujours favorable, les fleurs fleurissent quand même, elles savent que les insectes attendent patiemment, guettent les éclaircies et qu’ils seront présents. Elles savent. Ou elles répondent seulement à la pression du temps, la tension du bourgeon, du bouton, ou de l’œil, pas trop de choix dans tout ça, même si la pluie n’aide pas, les fleurs vont éclore. Les roses sont sorties, elles se faneront plus vite, sans sécher, vite pourrir. Profiter sans tarder de leur couleur, de leur odeur, de leur disposition, la finesse des pétales, comme sur les toits en tuile, mais en rond cette fois pour protéger son cœur, le garder à l’abri de l’eau qui diluerait son pouvoir de faire de futures roses.
Roses aussi les groseilles, qui commencent à rougir, quasiment à rugir, encore pour un moment caché dessous les feuilles, ce sera bientôt leur heure de sortir au grand jour, de prendre la première place. Alors que juste en face sur le versant ubac, le vert fait l’escalade des pentes encore blanches et les derniers névés s’inclinent un à un devant ce vert qui monte.

Fin mai 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Une semaine entre soupe et salade composée. De la pluie, souvent le soir et puis du pas trop chaud dans les tout premiers jours pour finir en beau temps, en temps chaud même trop chaud de ces chaleurs lourdes qui nous annoncent l’été. Peut-être aussi un peu le manque d’habitude, l’étrange pour les bras qui sortent des manches des pulls et récoltent au passage les piqures et les griffes de qui passe trop prés des ongles des rosiers, des piquants des orties ou des grands appétits des insectes délivrés de la trêve hivernale.
Insectes un peu partout, petits, insignifiants si on n’y regarde de près, si on ne regarde pas, si on n’observe pas ces êtres attentivement. Forme, position des pattes, contours, couleurs, rayures, taches, ou motifs complexes, ailes, antennes, il faudrait observer et garder bien en tête chacun de ces détails, comme si on désirait ensuite les dessiner ou les faire dessiner par une main plus experte, mais qui aurait besoin de nos informations. Alors on pourrait dire que cet individu, oui, on le connait bien, tout au moins du dehors, sans savoir ce qu’il mange, comment il se déplace, où il vit, ce qu’il aime, qui sont ses prédateurs. Encore un monde de plus que l’on ne connait pas, ou pas bien, pas assez, alors que bien souvent notre monde et le leur se côtoient, se mélangent, dépendent l’un de l’autre. On saurait le trouver dans le grand guide en couleur de l’entomologiste curieux et débutant, et c’est un premier pas.
Du côté végétal, toujours de nouvelles fleurs, bien souvent chez les arbres qui font fleurs après feuilles quand d’autres font l’inverse. En ce moment sureau, châtaignier ou tilleul nous font lever la tête, nez happé par l’odeur. Chez les arbres les couleurs restent souvent plus sobres, blanc, crème, un peu rosée, tandis que près du sol, les yeux vont de choc en choc parmi les couleurs vives, roses, jaune, bleu et violet, couleurs pour attirer, notre œil d’être humain, mais surtout les capteurs des insectes experts qui viennent polliniser, se nourrir et faire vivre tout un monde plus grand qu’eux, mais qui n’est rien sans eux. Alors on peut penser que des fruits viendront peut-être, que les petites choses accrochées à leurs branches, encore vertes, minuscules et austères, feront un jour les joies de nos papilles gourmandes, de nos soifs désaltérées par les subtils nectars.
Et puis le jour allant, les ombres s’allongent doucement, ces ombres qu’on recherchait pour le frais et le doux d’une lumière moins dure, pour les étranges motifs des graminées en plumes, en pinceaux ou en brosses qui dessinent sur le sol des dentelles émouvantes, ces ombres quand vient le soir ne sont plus que souvenirs. Les ombres se font sombres, les yeux n’y peuvent plus rien et laissent revenir les peurs de qui ne sait pas les bruits, les craquements, les grincements, les jappements et les cris. Alors quand on ignore, on imagine le pire, passant par les souvenirs de contes d’épouvante, dramatiques, angoissants et piégeurs de rêveries. Toutes ces histoires anciennes qui nous font bêtement classer dans le mauvais la petite chauve-souris qui vole au ras du toit ou la chouette hulotte qui appelle dans le noir l’âme sœur qui lui répond et nous permet encore, une fois le soleil couché et l’orage calmé, de profiter du concert offert par les oiseaux.

Attention, une chauve-souris se cache dans la photo…

Fin de mi-mai 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Pluie cette semaine. Pas toute la semaine, mais de belles averses, nuages lourds et cieux bas, le pantalon trempé dès qu’on passe dans les herbes, hautes, grandies, panaches épanouis et qui vous peignent les jambes de larges taches d’eau à la plus petite bruine. Suivant forme et texture, chaque feuille va se comporter d’une façon différente, en se couvrant de gouttelettes ou d’une fine pellicule, uniforme et luisante comme une couche de vernis, ou bien plus simplement ne rien laisser paraître qu’elle soit mouillée ou sèche. Qu’elles soient démonstratives ou bien des plus discrètes, les feuilles en général dépendent de l’eau pour vivre, ce sera donc simplement la forme de leur sourire qui sera différente.
Averses et éclaircies, giboulées de mars en mai, des saisons sans cloisons et des lumières rieuses qui se préoccupent bien peu de nos calendriers. Végétation en forme, le flux est encore vif, on s’habitue peut-être, mais quand même l’impression d’aller tout tranquillement vers un rythme plus paisible, un rythme de croisière. Dans les champs les couleurs se complètent pour qu’il y ait un peu de chacune des courbes de l’arc-en-ciel classique, arc-en-ciel pointillé du plus parfait effet. Mais toujours du nouveau du côté des odeurs, cette semaine le sureau, y replonger son nez comme dans les souvenirs de boissons faites maison ou bien de confitures ou plutôt de gelées, toujours à base de pommes, mais aromatisées et c’est ça qui fait tout, l’arôme du souvenir cher, souvenir d’autant plus cher qu’il est à un carrefour des routes de nos archives, tant papilles que pupilles et bien sûr odorat, sans oublier l’endroit, avec qui et comment tout ça a commencé, la découverte, enfin, d’un trésor juste là, juste au bout de nos doigts, négligé juste là par simple manque flagrant de la plus élémentaire de toutes les curiosités. Alors maintenant, oui, chaque année au mois de mai, guetter les ombrelles blanches, parapluies aplatis à l’odeur fabuleuse, à l’ombre énigmatique comme ces molécules dessinées au tableau, quand les cours de chimie faisaient un peu alchimie.
Comme une odeur d’ancien, de passé de fini également tout là-haut, quand on voit les névés rétrécir au soleil, leur couleur qui s’éloigne de plus en plus du blanc et le vert prendre pied bien au-dessus des forêts pour y faire des alpages. Une fois de plus souvenirs, cette fois de l’hiver maintenant, il est loin derrière nous et bien loin devant nous, de quoi penser que cette fois, on est presque en été, qu’on pense presque aux vacances en voyant les champs d’herbes onduler sous le vent comme la mer sous la brise, machines à se déplacer dans le temps et l’espace, qui nous fait enfin voir toute la subtilité des mouvements de l’air, de l’air qu’on ne voit pas

Caractères

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Sale caractère, caractère sale, mêmes mots, mais pas même sens, on change en bloc de monde pour avoir lu les mots dans un sens ou dans l’autre. Le dictionnaire dira, caractère un et caractère deux. Pour le caractère un, on rejoint l’ancien monde de la typographie. Lettres en plomb, capitales et bas de casse, les tirets cadratin et filets fantaisie. Caractères pour écrire pour faire signe par les mots, faire du son un message visible par les yeux, indifférent au temps, tout autant qu’à l’espace. Poser les caractères l’un à côté de l’autre, dans le bon ordre, dans le bon sens, bien caler les fins de lignes, choisir les interlignes et s’y tenir ensuite pour éviter le bancal, le manque de consistance, l’irrégularité qui ferait buter celui qui chemine dans le texte. Juste du papier clair et des caractères sombres qui peuvent s’en détacher, pour faire des mots, un texte et regardé de plus loin, une sorte de paysage, ligne de crête de montagnes ou trait de côte bord de mer, on y voit même parfois des plantes, des animaux, des portraits, des humains, presque des caractères, mais cette fois au sens deux trouvé dans le dictionnaire qui glisse de caractère à caractéristique pour dire le spécifique, la marque, le singulier de ce qu’on considère, de qui on considère. Alors deux caractères, séparation discrète, discrète séparation, on ne s’éloigne pas tant d’un sens ou bien de l’autre, car qui laisse de l’encre dans l’œil ou dans la hampe des caractères de plomb, laisse le caractère sale et manque de propreté pour faire que tous les textes soient également lisibles, pourra aussi souvent se voir attribuer l’étiquette négative, le sale caractère pour se soucier bien peu du besoin du lecteur de se glisser dans le texte sans accrocs, sans griffures, pouvoir se consacrer à ce que disent les mots au-delà de leurs formes de caractères de plomb. Pouvoir partir dans le texte, le vivre, le laisser vivre, voire même vivre aux côtés de Lucien de Rubempré les illusions perdues quand est beaucoup trop loin, trop loin le premier monde, celui des typographes, des amoureux des mots et que prennent le dessus d’autres priorités que la littérature

À lire et relire, Illusions perdues, Honoré de Balzac
Et à suivre, Balzac roman, une enquête, un voyage, sur le site du Tiers Livre de François Bon, en particulier, la sous-série Illusions perdues

Mi-mai 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Retour aux habitudes pour ce qui est du lieu, de l’endroit d’où j’écris mes étonnements de la semaine. Retour aussi aux plantes qu’on sait retrouver là, celles dont on surveille la croissance, le dépli avec l’impatience de la gourmandise, en tremblant dès qu’arrivent le moindre changement de temps et de température, le moindre souffle de vent qui soufflerait trop fort, un insecte qui pourrait endommager l’avenir, compromettre la récolte, mettre le ver dans le fruit. Vie d’angoisse que celle de qui guette, surveille et attend en tremblant tout ce qui se passe sur l’arbre, bourgeons, fleurs enfin fruits, de tout petit à moyen avant d’être adultes, parfois gros, enfin mûrs. Des poires cette année ?
Retour aux habitudes aussi par le contraste, juste quelques jours d’absence et on regarde l’endroit sous un jour différent. Étant toujours sur place, on suit trop les changements pour les voir comme changements, à peine évolution, petits ajustements, progression attendue qui ne fera pas surprise. Comme les feuilles des arbres qui poussent, qui grandissent, s’épaississent, qui construisent le sombre qui nous donnera l’ombre pour survivre à l’été, ses chaleurs, ses lumières, trop fortes pour nos yeux. Mais œuvre du changement ou encore du contraste, le sous-bois fait maintenant l’effet d’un autre monde, de mystères, de secrets, un monde différent, car d’une autre lumière, univers où la vue ne sera plus maîtresse.
C’est au pays des plantes que la vue est précieuse, pour se laisser attirer du coin d’un œil distrait par une couleur qui tranche sur le vert tout autour, se laisser captiver comme serait alléché un insecte dont la vie est liée au pollen autant que celle des fleurs, et plus des plantes à fleurs. Alors, y regarder, mais y regarder de près et compter les pétales, en observer le cœur, parfois tourner la tête, y voir des symétries, des formes, des mécanismes. Et des airs de famille. Familles aux noms latins qui rassemblent la rose, le pommier et la fraise, ou encore les pois chiches, les genêts, la réglisse ou bien le palissandre, pour nous dire de ne pas se laisser égarer par quelques différences et qu’un air de famille ne s’efface pas d’un souffle.
Au chapitre du souffle, on arrive vite au vent, comme souffle incontournable. Léger, il est discret et laissera bien souvent nos oreilles au repos, mais nos yeux le suivront par les mouvements des feuilles, des épis qui font vagues chez les frêles graminées, si bien qu’on oubliera jusqu’à la fin de l’été que derrière le rideau, l’écran des feuilles des arbres se cache un paysage qu’on aura oublié, captivés par la danse des feuilles dans le vent, chorégraphies changeantes en fonction des espèces, de la forme des feuilles, leur accroche sur les branches ou le long d’une tige. Elles se laissent bercer et par leurs doux mouvements, elles nous appellent, nous happent, nous envoûtent, nous captivent. Les feuilles nous ensorcellent.
Une fois ensorcelés, il nous faut pourtant peu pour quitter le spectacle, nous autres, humains volages, il suffit bien souvent de la présence d’un insecte qui agace de ses pattes posées sur notre peau ou du bruit de ses ailes qui piétine l’attention que l’on avait placée dans le mouvement des feuilles. Alors on y revient, mais l’instant est passé, comme on a beau revenir à la branche opportune où l’on a vu l’oiseau, où on l’a observé, où on a eu le temps de bien le reconnaître, de lui donner un nom. Après la distraction, l’oiseau s’est envolé, comme souvent l’idée de ce qu’on voulait écrire pour terminer un texte d’une façon magistrale…

Rochers comme nuages tombés à terre

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Rochers comme nuages tombés à terre.
Ces beaux mots d’ouverture sont de Gracia Beijani, du vidéopoème ne pas voir vieillir nos mains.
Une phrase comme un cadeau, un immense commencement, une incitation douce à déplacer nos yeux au-delà du juste en face, faire du regard le lien entre le bas et le haut, entre le haut et le bas ou juste poser ses yeux au sommet des montagnes ou se posent les nuages pour devenir rochers. D’autres sont tombés là il y a déjà longtemps, ils roulent sous nos pieds, mobilisent nos chevilles, offrent asile à nos yeux, à nos corps fatigués. Alors du bout des doigts, on suit les couches, les strates, des stratus en millefeuilles, des pages de nuages, des liasses de roches comme feuillets dans un livre, savamment empilés comme albums de souvenirs, puisque le temps des uns n’est pas celui des autres. Les instants des nuages sont les ères des rochers, juste changer d’échelle pour voir la filiation, les liens de parenté, de famille, de lignage, ciel et sol comme fratrie, comme notes d’une même portée. Rondouillards rochers comme cumulus d’été, tout habillés de mousse, de lichens, de feuilles mortes pour inciter nos yeux à ne pas se laisser aller, ne pas rester en surface, ne voir que la couleur quand la forme est la clé, le portrait par les traits. Ensuite vient le toucher, les mains ouvertes en grand et puis fermer les yeux, tête tournée vers le haut, sous les doigts le nuage quand les yeux disent rocher, choisir celle qu’il nous faut parmi les sensations qui reviennent à la tête ou bien admettre les deux, loin du trop cartésien, qui, sans pour autant nier toute réalité, serait bien avisé de nous laisser rêver, au moins de temps en temps.
Une bien longue histoire, les nuages et leur relation au reste du monde, ou plutôt :
Thirty-five or more years ago I spent a few days in Murren (Switzerland), and I was experimenting with ortho plates. Clouds and their relationship to the rest of the world, and clouds for themselves, interested me, and clouds which were most difficult to photograph-nearly impossible. Ever since then clouds have been in my mind most powerfully at times, and I always knew I’d follow up the experiment made over 35 years ago.
I always watched clouds. Studied them. Had unusual opportunities up here on this hillside.

Écrivait Alfred Stieglitz dans How I came to photograph clouds, article paru le 19 Septembre 1923 dans la revue The amateur photographer and photography. Alors, pourquoi encore maintenant faudrait-il hésiter à sortir les nuages de leur tiroir céleste pour pouvoir aisément les admirer juste là, tout près, sous nos pieds, sous nos mains, sous nos yeux, ces rochers, ces photos en relief des nuages comme rochers tombés à terre

Encore un grand merci à Gracia Beijani pour ses mots qui ont donné vie aux miens. Pour découvrir le travail de Gracia, sa chaine Youtube et son site