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Mi-mai 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Retour aux habitudes pour ce qui est du lieu, de l’endroit d’où j’écris mes étonnements de la semaine. Retour aussi aux plantes qu’on sait retrouver là, celles dont on surveille la croissance, le dépli avec l’impatience de la gourmandise, en tremblant dès qu’arrivent le moindre changement de temps et de température, le moindre souffle de vent qui soufflerait trop fort, un insecte qui pourrait endommager l’avenir, compromettre la récolte, mettre le ver dans le fruit. Vie d’angoisse que celle de qui guette, surveille et attend en tremblant tout ce qui se passe sur l’arbre, bourgeons, fleurs enfin fruits, de tout petit à moyen avant d’être adultes, parfois gros, enfin mûrs. Des poires cette année ?
Retour aux habitudes aussi par le contraste, juste quelques jours d’absence et on regarde l’endroit sous un jour différent. Étant toujours sur place, on suit trop les changements pour les voir comme changements, à peine évolution, petits ajustements, progression attendue qui ne fera pas surprise. Comme les feuilles des arbres qui poussent, qui grandissent, s’épaississent, qui construisent le sombre qui nous donnera l’ombre pour survivre à l’été, ses chaleurs, ses lumières, trop fortes pour nos yeux. Mais œuvre du changement ou encore du contraste, le sous-bois fait maintenant l’effet d’un autre monde, de mystères, de secrets, un monde différent, car d’une autre lumière, univers où la vue ne sera plus maîtresse.
C’est au pays des plantes que la vue est précieuse, pour se laisser attirer du coin d’un œil distrait par une couleur qui tranche sur le vert tout autour, se laisser captiver comme serait alléché un insecte dont la vie est liée au pollen autant que celle des fleurs, et plus des plantes à fleurs. Alors, y regarder, mais y regarder de près et compter les pétales, en observer le cœur, parfois tourner la tête, y voir des symétries, des formes, des mécanismes. Et des airs de famille. Familles aux noms latins qui rassemblent la rose, le pommier et la fraise, ou encore les pois chiches, les genêts, la réglisse ou bien le palissandre, pour nous dire de ne pas se laisser égarer par quelques différences et qu’un air de famille ne s’efface pas d’un souffle.
Au chapitre du souffle, on arrive vite au vent, comme souffle incontournable. Léger, il est discret et laissera bien souvent nos oreilles au repos, mais nos yeux le suivront par les mouvements des feuilles, des épis qui font vagues chez les frêles graminées, si bien qu’on oubliera jusqu’à la fin de l’été que derrière le rideau, l’écran des feuilles des arbres se cache un paysage qu’on aura oublié, captivés par la danse des feuilles dans le vent, chorégraphies changeantes en fonction des espèces, de la forme des feuilles, leur accroche sur les branches ou le long d’une tige. Elles se laissent bercer et par leurs doux mouvements, elles nous appellent, nous happent, nous envoûtent, nous captivent. Les feuilles nous ensorcellent.
Une fois ensorcelés, il nous faut pourtant peu pour quitter le spectacle, nous autres, humains volages, il suffit bien souvent de la présence d’un insecte qui agace de ses pattes posées sur notre peau ou du bruit de ses ailes qui piétine l’attention que l’on avait placée dans le mouvement des feuilles. Alors on y revient, mais l’instant est passé, comme on a beau revenir à la branche opportune où l’on a vu l’oiseau, où on l’a observé, où on a eu le temps de bien le reconnaître, de lui donner un nom. Après la distraction, l’oiseau s’est envolé, comme souvent l’idée de ce qu’on voulait écrire pour terminer un texte d’une façon magistrale…

Rochers comme nuages tombés à terre

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Rochers comme nuages tombés à terre.
Ces beaux mots d’ouverture sont de Gracia Beijani, du vidéopoème ne pas voir vieillir nos mains.
Une phrase comme un cadeau, un immense commencement, une incitation douce à déplacer nos yeux au-delà du juste en face, faire du regard le lien entre le bas et le haut, entre le haut et le bas ou juste poser ses yeux au sommet des montagnes ou se posent les nuages pour devenir rochers. D’autres sont tombés là il y a déjà longtemps, ils roulent sous nos pieds, mobilisent nos chevilles, offrent asile à nos yeux, à nos corps fatigués. Alors du bout des doigts, on suit les couches, les strates, des stratus en millefeuilles, des pages de nuages, des liasses de roches comme feuillets dans un livre, savamment empilés comme albums de souvenirs, puisque le temps des uns n’est pas celui des autres. Les instants des nuages sont les ères des rochers, juste changer d’échelle pour voir la filiation, les liens de parenté, de famille, de lignage, ciel et sol comme fratrie, comme notes d’une même portée. Rondouillards rochers comme cumulus d’été, tout habillés de mousse, de lichens, de feuilles mortes pour inciter nos yeux à ne pas se laisser aller, ne pas rester en surface, ne voir que la couleur quand la forme est la clé, le portrait par les traits. Ensuite vient le toucher, les mains ouvertes en grand et puis fermer les yeux, tête tournée vers le haut, sous les doigts le nuage quand les yeux disent rocher, choisir celle qu’il nous faut parmi les sensations qui reviennent à la tête ou bien admettre les deux, loin du trop cartésien, qui, sans pour autant nier toute réalité, serait bien avisé de nous laisser rêver, au moins de temps en temps.
Une bien longue histoire, les nuages et leur relation au reste du monde, ou plutôt :
Thirty-five or more years ago I spent a few days in Murren (Switzerland), and I was experimenting with ortho plates. Clouds and their relationship to the rest of the world, and clouds for themselves, interested me, and clouds which were most difficult to photograph-nearly impossible. Ever since then clouds have been in my mind most powerfully at times, and I always knew I’d follow up the experiment made over 35 years ago.
I always watched clouds. Studied them. Had unusual opportunities up here on this hillside.

Écrivait Alfred Stieglitz dans How I came to photograph clouds, article paru le 19 Septembre 1923 dans la revue The amateur photographer and photography. Alors, pourquoi encore maintenant faudrait-il hésiter à sortir les nuages de leur tiroir céleste pour pouvoir aisément les admirer juste là, tout près, sous nos pieds, sous nos mains, sous nos yeux, ces rochers, ces photos en relief des nuages comme rochers tombés à terre

Encore un grand merci à Gracia Beijani pour ses mots qui ont donné vie aux miens. Pour découvrir le travail de Gracia, sa chaine Youtube et son site 

Début de mi-mai 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine de début de mi-mai un peu particulière. Une semaine, deux vallées. On commence dans un Beaufortain en brume, en vapeurs, en nuages nés de la terre, des rochers et des arbres. Des nuées vagabondes qui emmènent d’ici pour mieux déposer là au grès de leurs ondées. Une ambiance d’entre soi qui fait vivre en dedans un peu d’imaginaire en lisière du mystère de ce qui est caché, dévoilé, dérobé. Le moment idéal pour aller voir ailleurs.
Ailleurs, mais pas trop loin, quelques vallées d’écart, quand même changement de cailloux, de paysages, de plantes et sûrement d’animaux, mais ils peuvent voyager et souvent le voyage fera air de famille. Changements de toits aussi. Un peu partout crépis, les murs en disent moins long que la forme des toitures et leur habit de tuiles, de tôles ou bien d’ardoises. Beaufortain et Savoie, c’est souvent de la tôle, ça convient à l’hiver, à la neige et aux pentes aux angles bien marqués. Coins coupés du Vercors et aussi du Trièves, puis un peu plus au sud, on passe aux tuiles canal, aussi dite tige de botte qui font tout de suite penser à Méditerranée.
Maintenant place au calcaire, face aux toits en terre cuite, des roches claires parfois pâles qui racontent leur histoire en lignes tortueuses pleines de péripéties. Vallées creusées profond, parfois jusqu’aux falaises, aux gorges et aux grottes. Les gorges de la Méouge disent tout ça en détail avec pédagogie. Après ce défilé, les reliefs s’arrondissent et deviennent plus avenants, la vallée du Jabron est large et accueillante à quelques exceptions près.
Les plantes qui poussent ici sont pleines de volonté en plus de la chlorophylle. Repousser les cailloux pour se faire une place, supporter chaud et sec pendant les mois d’été, mais aussi les hivers quand la vallée se tourne vers les sommets autour pour mieux se souvenir qu’elle est en altitude. Alors quand on est fleur se faire magnifique, se grimer en insecte, perfectionner au mieux les charmes les plus fous pour mieux se reproduire. Mais en ce mois de mai, interstice bienveillant, ni trop chaud ni trop froid, les arbres n’hésitent pas à se montrer eux-mêmes, faire preuve de fantaisie, d’originalité et presque de délire pour la couleur des feuilles, chaque arbre aura la sienne pour quelques semaines à peine, avant de revenir sagement au vert sombre pour résister au vent, ce mistral qui rend fou, au chaud et puis au sec tandis que fleuriront les lignes de lavandes au doux chant des cigales.

L’âge des nuages

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Barbe blanche, chevelure pâle, c’est sûrement un nuage déjà d’un certain âge. Savoir l’âge des nuages, question pas vraiment sage pour une réponse rapide, sans interrogations, sans prolongements possibles, probables et même certains. Quel est l’âge des nuages, ont-ils d’ailleurs un âge, est-ce que ça a un sens de poser cette question. Sujet bien délicat pour ces êtres changeants, qui filent et se déforment, se transforment, se scindent et se ressoudent, disparaissent, se gonflent jusqu’à devenir encore bien plus gros que des buffles, juste avant de pâlir, de se désagréger, de ne plus exister, à nos yeux d’êtres humains. Nuages de montagnes au-dessus des sommets, nuages chargés de sel sur les crêtes des vagues, nuages ivres de sables au-dessus des déserts, ils se ressemblent, s’assemblent et sont soit toujours jeunes soit toujours très âgés et juste réarrangés, chargés de tout ce qui, un jour, a croisé leur chemin.
Si l’âge des nuages est chose trop compliquée alors juste revenir à l’image des nuages figée dans un cliché, un arrêt en image, existence éphémère, cycle de vie éclair, car c’est chacun son rythme, loi des saisons d’une herbe, d’une vie animale, de l’existence d’un arbre, d’une forêt, d’une montagne.
Alors, pour le souvenir s’en remettre au cliché, à l’image, la photo, collection de nuages comme des portraits de famille. Des plaques d’Alfred Stieglitz à ce qu’on peut découvrir au milieu des fichiers de nos images numériques découpées droit dans le ciel un de ces jours sans plafond, sans canopée, sans toit. Alors de ces jours-là se faire un peu solitaire, presque un peu étranger au doux ronron des jours qui viennent l’un après l’autre, réguliers, identiques, sans jamais de faux pas, ni de pas de côté, se faire comme l’étranger, celui qui n’a pas d’âge, celui de Charles Baudelaire dans le Spleen de Paris :
Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
Tes amis ?
Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
Ta patrie ?
J’ignore sous quelle latitude elle est située.
La beauté ?
Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
L’or ?
Je le hais comme vous haïssez Dieu.
Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !

Début mai 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Une semaine de début mai qui pourrait presque se prendre pour une journée d’été. Une journée de fin d’été, une journée de mois d’août déjà fraîche le matin, rapidement de retour du côté de la chaleur par le rond disque jaune au milieu du ciel bleu, puis le chaud un peu lourd et les nuées qui montent, se rassemblent, s’accumulent jusqu’à se faire orage, pluie, vents et même éclairs. Et à la fin de la semaine, plus humide, plus frais et puis l’air dégagé des poussières qui filtraient à faire pâle l’intense des couleurs. On se rapproche du loin, jusqu’à penser le toucher.
Chaleur un peu précoce ou juste qui nous surprend, source d’intranquillité, de pas comme d’habitude, de changement un peu brusque qui fait effet de surprise trop loin des souvenirs qu’on garde de cette période dans un coin de nos têtes. Les vêtements qui d’un coup ne sont plus adaptés, et pourtant, ce plaisir indéniable des journées qui rallongent et gardent pour le soir encore un bout de jour, desserrent un peu l’étau de la lumière qui file pour rejoindre la nuit nous laissant sans la vue, humains intoxiqués, esclaves du visuel, plus vraiment en mesure de faire sans leurs yeux.
Réchauffement bienvenu pour ceux qui vivent l’été et ne vivent que l’été, parmi eux des insectes, et même beaucoup d’insectes en ce moment petits, encore presque bébés qui sèchent leurs enveloppes aux rayons du soleil et aux souffles du vent. Des papillons tout jaunes qui volettent par deux, et les premiers moustiques et nos premiers boutons. Un peu partout le dehors sort doucement de l’enfance pour entrer tranquillement dans l’âge adolescent. Pour les feuilles des arbres, c’est déjà ou bientôt la forme des adultes, manque encore l’épaisseur et un peu de dureté qui les feront résister aux chaleurs, aux orages et aux coups de vent mauvais. Graminées encore souples qui se courbent sous le poids de leurs nouveaux toupets, vagues qui se déroulent, s’enroulent et se déroulent au moindre souffle de vent pour peindre un paysage qui en rappelle un autre et faire d’un large champ d’herbes, une marine authentique.
Réchauffement bienvenu aussi pour nos narines qui goûtent goulûment les odeurs des fleurs au-delà de leur couleur, comme l’odeur du lilas qui se rappelle au nez autant qu’à nos pupilles. Odeur également qui vous cueillent par surprise au détour d’un sentier dans le sombre du sous-bois, pensées de parfums subtiles qui détourent un visage ou bien de doux goûters à peine sortis du four comme ces fleurs de houx qui viennent repêcher, loin dans mes souvenirs, l’eau de fleur d’oranger des gâteaux, des brioches.

Fin avril 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Le paysage visuel en face de la fenêtre est fait d’arbres et de leurs feuilles qui sont encore toutes jeunes, de ce vert du printemps tout rempli de lumière, feuilles pas encore adultes, qui ne prennent pas toute la place et laissent voir quelques-uns des traits sombres des branches. Derrière je ne vois pas mais je sais la vallée, la rivière tout en bas et la route qu’on entend même si les feuilles qui poussent cacheront un peu ce bruit. Sur le versant d’en face il y a quelques maisons, mais surtout la forêt, feuillus et conifères, puis plus que conifères et plus haut la montagne vit encore en hiver, juste la neige et les pierres, juste le noir et le blanc.
Le paysage sonore en face de la fenêtre est tout rempli d’oiseaux, rien que leur nom à dire est déjà mélodie, grive musicienne, troglodyte mignon, pinson des arbres, fauvette à tête noire, merle noir, pouillot véloce, grand corbeau dont on entend le vol encore plus que les cris. Cris, chants, messages, images pour les oreilles que tous ces sons d’oiseaux, peut-être un contresens au sujet du message, mais je ne garde que le chant et tant pis pour le sens, comme ne garder d’un texte dans un autre alphabet, rien que la mise en page et la typographie.
Du côté météo, semaine d’alternances, du clair, du sombre, du gris, du sec et de l’humide, avec des épisodes par anticipation, un temps comme au mois d’août, du chaud tout le matin et des nuages qui montent pour se rassembler le soir et nous organiser une pluie voire un orage pour la fin de journée. Bonheur des éclaircies quand l’œil reposé par les éclairages doux d’un soleil diffus, retrouve lumières et ombres, ces doubles en noir et plats des choses qui s’interposent en face de la lumière comme les lettres pour les sons, les mots et puis les phrases. Choses qui se ressemblent sans avoir rien de commun, mimétisme, copiage, ou bien inspiration, comme ces bourgeons de sapin qui se font hérissons, les chatons de noisetiers, de noyer ou de saules sosies de chenilles velues ou bien les orchidées si proches des insectes qu’ils se laissent prendre au piège de la contrefaçon, nous laissant entrevoir tout ce qui est commun entre les végétaux et leurs doubles animaux.
Végétaux, animaux, tous se retrouvent d’ailleurs dans l’incapacité de faire leur vie sans eau. Alors oui, besoin d’eau, pour les humains aussi, animaux parmi d’autres. Alors regrets amers quand on savait une source en bordure du replat, qu’on passe et qu’on repasse sans pouvoir la retrouver sorte de manque de respect, de considération au moins, pour ceux des gens d’avant qui avaient bâti là, construit grange et murets pour vivre avec la terre où maintenant les arbres sont les maîtres des lieux, recouvrant de feuilles mortes les vestiges de leur vie. Émotion des vieux murs qui ont capitulé et se laissent redevenir un simple tas de pierres, émotion des vieux murs en pensant à ces gens qui ont vécu ici, choisi chacune des pierres, posée et reposée à un tout autre endroit où elle allait bien mieux. Ensemble aménagé, utilisé un temps et puis ils sont partis, ils ont laissé la place, place qu’aucun être humain n’a souhaité reprendre. Connaissance de l’eau perdue et oubliée qu’il faudrait retrouver en se fiant aux bêtes dont les traces de passages disent qu’elles savent encore et que leurs petits sauront où venir s’abreuver en cas de soif ou de besoin de la fraîcheur de l’humide.

Spectre

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Le spectre de la lumière blanche pourrait être le titre d’une histoire de fantôme, d’ectoplasme, de revenant. Mais non. Spectre dans ce cas-là est le mot utilisé par Isaac Newton pour décrire l’expérience par laquelle un fin rayon de soleil entre dans un prisme droit et ressort de l’autre face, mais tout décomposé pour offrir à la vue, bien rangées côte à côte, toutes les couleurs visibles par notre œil d’humain. Arc-en-ciel in vitro. Quant au choix du mot spectre, il dit l’incertitude des recherches alors en cours qui justifient l’usage du mot utilisé partout en ces temps des Lumières pour les illusions, les apparences immatérielles et tous les phénomènes optiques qu’on ne s’expliquait pas. Aujourd’hui, parler du spectre de la lumière blanche c’est parler de l’image colorée qu’on peut voir, la partie du spectre du rayonnement électromagnétique accessible à notre œil d’humain, spectre coincé entre l’infrarouge et l’ultraviolet. Ces rayonnements, qu’on les connaisse ou pas, qu’on se trompe sur leur compte ou qu’on ne sache pas encore ont toujours fait noircir des éléments chimiques, tels que les sels d’argent, sensibles à leur charme. Avec de temps en temps, une petite préférence pour une certaine couleur. Pour le bleu par exemple dans les émulsions chimiques utilisées au début du vingtième siècle en photographie. Résultat malheureux de cette préférence, sur une photo en noir et blanc, le bleu du sujet photographié finissait, sur l’image, bien plus clair que les autres couleurs, le bleu du ciel, pâle comme les nuages. Pas de contraste, pas d’image, ou au mieux pâlichonne, mollassonne et pas à la hauteur du douillet potelé des nuages comme sujets. D’où les déconvenues d’Alfred Stieglitz pour ses premiers essais de photos de nuages. Heureusement, la cuisine photographique a vite amélioré ses recettes et mieux équilibré le rendu des couleurs en valeurs claires et sombres, de façon plus conforme à ce que voit notre œil. Et permis à Alfred Stieglitz de rendre les nuages enfin photogéniques, même de fins nuages blancs sur un fond de ciel très bleu.
Pour ce qui est du spectre, on a gardé le même mot pour les deux champs d’études en pensant d’évidence, en haussant les épaules, parce qu’évidemment, il n’y a aucun risque que puissent se confondre les peurs surnaturelles et la sérieuse science. D’un côté on a spectre pour dire l’étalage d’une répartition, comme l’image colorée des sept de l’arc-en-ciel. Et de l’autre côté, du côté fantastique, l’autre spectre est resté pour tout ce qui fait peur sans avoir vraiment de forme ni de nom très précis, souvent c’est lumineux, ou disons plutôt pâle, aux contours irréels, et pas très rassurant.
Les pas très rassurants quand on parle de nuages, sont les nuages d’orages, sombres enclumes menaçantes, pleines d’éclairs et de pluies, de vents furieux aussi. Et les plus dangereux seront bien sûr les plus sombres. Quand le spectre pour sa part fera monter la peur à cause de sa pâleur. C’est sûrement pour ça que l’on n’entend jamais, même dans les châteaux abandonnés d’Écosse, des histoires de fantômes dont les héros, flottants, pâles et évanescents seraient des spectres de nuages

Fin de mi-avril 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine à grand contraste, grands écarts, grand écart. Grand beau, pluie et même neige, bleu et blanc en camp de base, avec toujours le vert qui sort gagnant de l’histoire, au moins en tant que couleur.
D’abord c’est le retour des nuages dans le bleu, formes blanches, qui se déforment, se reforment, se dispersent, s’assemblent et s’épaississent, laissent passer la lumière ou lui barrent le passage, allant jusqu’à baisser le rideau de la pluie, nous faisant le moral en gris ou lumineux, mimétisme d’éclairage, mystère et grande question pour ce qu’on ne voit plus : caché ou disparu ?
Dehors ça continue, poussée vertigineuse de tous les végétaux, l’herbe atteint les mollets, on pense à la couper, jardiner c’est choisir, alors bien faire les choix, sans aucun extrémisme, pas si simple que ça. Faire une place à chacun, s’incluant logiquement, animaux parmi d’autres, dans le fameux chacun, sans exagération ni d’un côté ni de l’autre, parce que les mots en ie, théorie, utopie, sont rarement adaptés à pouvoir nous nourrir quand il s’agit d’assiette et de nos besoins de base. Alors arracher là et protéger ici en réfléchissant bien avant d’ôter la vie, utiliser ailleurs ce qu’on ne veut pas là, faire au mieux bien souvent quand rien ne va comme prévu.
Et la neige en avril fait rarement partie des choses qu’on a prévues, même si les saints de glace nous avaient prévenus, et encore cette fois-ci, pas de gel, rien de trop négatif, de ces températures qui tuent sans états d’âme les imprudents précoces. Ici la neige lourde fait plier les jeunes branches et craquer les plus faibles, mais dégâts circonscrits, beaucoup en réchapperont pour mieux se réjouir de cette eau à foison une fois le chaud revenu.
Une fois le chaud revenu, nos oreilles retrouveront, bruits d’insectes, chants d’oiseaux après le calme du blanc. Chez le noir grand corbeau, c’est la saison choisie pour faire de la voltige entre nuage et bleu, formation à plusieurs, le plus souvent à deux, aucune discrétion dans leur vol bruissant d’ailes, un côté m’as-tu-vu, ou plutôt entendu, mais contraste idéal entre l’élégance sombre et le clair des nuages.
Toujours question contraste, maintenant le vert est partout, il nous cache le sous-bois qui lui garde une lumière toujours faible et constante, arbres nus en hiver pour accueillir le peu que dispense le jour et couvert en été pour mieux se protéger de l’excès de lumineux, la forêt en exemple, parfait et éprouvé, pour chasser les excès qui souvent nous nuisent tant.

Tête en l’air

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 
Alfred Stieglitz, 1926

Être tête en l’air, c’est pour les étourdies, les étourdis, les distraites, les distraits, les rêveuses, les rêveurs, les absents, les absentes d’ici et de maintenant. Les artistes. C’est un vilain défaut, à l’école, au travail et pour tous les humains attelés aux choses sérieuses. Pourtant, être tête en l’air est bien le seul moyen d’observer les nuages. D’observer les nuages et de les photographier.
Être tête en l’air, c’est ce qu’a fait, très sérieusement, avec constance, un grand sérieux et une application sans faille, Alfred Stieglitz entre 1922 et 1935 pour ses séries Songs, puis Equivalent ou Equivalents, série dont est issue la photo ci-dessus. Il voulait qu’on regarde la photo comme un art et pas seulement une façon relativement fidèle de copier le réel. Il y avait déjà l’émotion des visages dont il faisait le portrait, l’émotion des scènes de vie à New York ou ailleurs, alors juste rajouter toutes les émotions de l’autre côté de l’appareil, de l’autre côté du tirage, celles du photographe et puis de qui regarde les images exposées. Une émotion photographique qu’il voulait rapprocher de celle de la musique, d’où le nom de sa première série de nuages, Songs.
Nuages, émotions, photos, une invitation à se faire tête en l’air, à offrir son visage à l’air, à la pluie, au vent, à la neige, à y regarder de près dans ce dehors si haut, à y déposer, par les mots, et les phrases, un peu de son dedans.
Être tête en l’air, on ne le fait pas souvent, regarder droit devant et les yeux dans les yeux plutôt que dans les cieux, regarde donc ce que tu fais ! Quand les yeux aident les mains, le travail ou l’étude, l’endroit où les pieds se posent, ou les yeux occupés par les mots du papier, les images de l’écran. Et tant d’autres distractions qui nous éloignent toujours de notre être nuageux.
Être tête en l’air, parce que chez les humains, on ne rigole jamais quand on parle de la tête. Siège de ce qui nous fait nous, le visage tout d’abord, nez, bouche, oreilles et yeux, tout ce qui nous permet de recevoir au mieux les signaux du dehors. Sans oublier le toucher, par la peau du visage. C’est elle qui sera sensible aux paroles du vent, tant murmures que tempêtes, humidité aussi brouillard, brume ou bien pluie. Ne pas oublier la neige, gouttes à retardement, flocons qui deviennent eau en dispensant leur froid.
Alors, très sérieusement, se faire tête en l’air, pour voir ce qu’on peut voir dans l’air et ses nuages, quand on y regarde mieux, comme le faisait si bien il y a maintenant un siècle, l’artiste Alfred Stieglitz

Début de mi-avril 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine globalement bleue. Un temps de science-fiction, temps d’anticipation, temps d’été en avril avec même, mais pour une seule journée, les cumulus qui montent et une petite averse, quelques gouttes symboliques, mais qui ont de quoi ravir amphibiens, batraciens et autres gastéropodes. Aussi cette semaine à propos de nuages, des nuages de poussière dans les endroits sans herbe, sans pierres et sans couvert, au passage d’une voiture sur le chemin d’en bas ou sous l’ombre des arbres où se sont concentrés les moutons fatigués par l’intense du chaud pour se gratter un lit et dormir à midi.
Du chaud, du pas encore trop sec, toutes les plantes en profitent, on a du mal à suivre, à retranscrire ici toute les nouvelles naissances, toutes les éclosions, les déplies de bourgeons et les sorties de feuilles. Alors, laisser tomber le un, adopter le plusieurs et puis parler des arbres, des arbres en général, même si au chapitre feuilles, on ne parle que des feuillus. Les arbres du printemps quand leurs feuilles se déploient ont ce vert si spécial qui va foncer ensuite pour devenir plus sage, plus résistant aussi, mais moins attendrissant que cette teinte éphémère, une sorte de vert layette pour les feuilles nouvelles nées. Les feuilles sont de retour et elles traînent avec elles la dure réalité des arbres qui restent nus quand les autres s’habillent de cette couleur si tendre. En hiver ils pouvaient encore faire illusion, mais avec le printemps ils se font singuliers au milieu des forêts, arbres devenus bois, arbres loins d’être morts, ils seront habités, mais par d’autres qu’eux-mêmes.
Parmi les fleurs aussi il est des singulières, des fleurs un peu à part, par leur notoriété, ce que leur nom transporte comme admiration et ne les fera jamais se ranger aux côtés des banales mauvaises herbes. Une sorte de noblesse, un petit côté star, des fleurs à privilèges. Parmi toutes les fleurs, l’orchidée est à part. Peut-être leurs façons de se faire un peu insectes, leurs couleurs et leurs formes qui les font se distinguer dans le règne végétal. Alors bien les guetter au temps du jardinage pour ne pas les abimer, les laisser faire les belles et puis se reproduire pour encore les revoir, ce que les tondeuses refusent à tellement d’autres fleurs qui n’ont pas leur aura.