Archives mensuelles : mai 2024

Attention

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Dans le mot attention, l’important est après, juste après les neuf lettres, dans la ponctuation. Du point qu’on y mettra, le sens en sera changé, du danger immédiat, façon alerte rouge, au nécessaire grand calme pour bien se concentrer. Le attention devant de quelqu’un qui cuisine et porte une grande plaque chaude ne se comprends qu’avec un point d’exclamation, il doit être suivi d’une action adaptée, un évitement souple, une artistique esquive. Mais pour l’autre attention, il nous faut la lenteur des points de suspension, surtout ne rien troubler, écouter, regarder, sentir ou bien goûter ou encore rechercher, doucement du bout des doigts, la petite cicatrice en haut de l’omoplate ou la poignée de la porte pour s’éclipser sans bruit. Il s’agira alors de mettre tout son cerveau dans un seul sens unique, l’empêcher de s’enfuir, ou même de s’enfouir, de jouer à l’autruche, de suivre les nuages, d’aller aux champignons quand on cherche l’oiseau. Cette deuxième acception du mot attention est une chose délicate, subtile et volatile. Trouver dans les feuilles vertes les plumes d’un oiseau ou entendre son chant au milieu des voitures qui ronflent et qui klaxonnent demande une vigilance, une concentration et une envie de voir qui accepte avec joie qu’on lui consacre du temps, qu’on le voit autrement, pourquoi pas noir et blanc. Le bourgeon nouveau-né qui se déplie et s’ouvre, tâte enfin de l’air libre, presque étonné lui-même de se voir enfin feuille, réclame lui aussi toute notre attention, autant que le lézard, immobile et patient, couleur pierre dans les pierres, il guette l’inattention de celle qui l’observe avec grande attention. Les mots, petits ou gros, devraient recevoir aussi toute notre attention quand il faut les écrire, les habiller de beau, orthographe et grammaire, tirés à quatre épingles, soigner leur voisinage pour un accord parfait, tout peaufiner chez eux, la forme autant que le fond sans négliger le son, passer et repasser en pleine concentration de celui qui va lire à celui qui écrit, offrir aux mots, enfin, toute notre attention, sans tension, sans attente, toute notre attention

Espace vert

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Elle est rose, un peu mauve, dans un espace tout vert. Tout autour d’elle, des herbes, des tiges, des feuilles, des herbettes, du chiendent et du trèfle, mais aussi des orties, des ronces et de l’ivraie. En résumé, beaucoup de ces nombreuses plantes vertes qu’on appelle mauvaises herbes. Mais elle, elle est rose. Rose avec un peu de violet, du blanc et du vert, quand même, pour ses feuilles longues et fines. Mais surtout elle, elle a une gueule d’ange. Elle attire l’objectif des photographes des près. Grandes ailes déployées, deux yeux bruns et terribles qui te parlent juste à toi et même rien qu’à toi et une longue robe tachetée qui en fait un bijou, une star au sein des fleurs. L’orchidée. Au milieu de toutes les fleurs, l’orchidée est de celle que l’on admire le plus. Ses formes et ses couleurs, son inventivité, son maquillage d’insecte pour piéger les insectes, et sa ténacité pour revenir chaque année avec d’autres comme elle, chaque printemps de nouveau plus belle et plus pimpante, elle est haut sur la liste de nos fleurs préférées. Mais elle ne viendra là que si on ne la tond pas. Pas d’orchidée lovée au coin d’un stade de foot ou d’un gazon de parterre. Il faudrait pour cela éviter soigneusement de lui couper l’herbe sous le pied, il faudrait inventer une autre alternative pour faire du vert en ville, une autre espèce d’espace, pas uniquement vert. S’asseoir un jour d’été au milieu des feuilles vertes avec une feuille blanche et penser le dehors avec tous nos dedans remplis de connaissances, d’envies et de besoins. Partir de cette feuille blanche comme l’a fait Georges Perec et puis s’en éloigner, la voir dans une prairie pas seulement dans une chambre, et puis des arbres autour, une forêt comme immeuble, des ruisseaux, des vallons qui diraient la région et puis vu de plus haut on serait sur un nuage à l’échelle du pays, du continent, de la Terre et puis du grand espace. Juste réécrire l’histoire, avec du vert en plus, avec en plus les fleurs et pas juste leurs feuilles, une espèce d’espace vert qui ferait place à la vie, au-delà de la ville