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A ménager

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

La montagne, ça monte et ça descends, ça se courbe, s’infléchit, ça tournicote aussi, ça dévale, ça déboule et puis on est en bas et il faut remonter pour pouvoir une fois de plus, dégringoler encore. Mais voilà, remonter, ça fatigue davantage que se laisser glisser. Alors on a construit des choses mécaniques, pour monter aussi vite qu’on sera redescendu. Mouvement perpétuel, agitation constante à entretenir sans fin pour suivre le mouvement. Ce serait caprice d’enfant, on en resterait là, mais l’enfant devenu grand pourra aménager avec les grands moyens.
Alors, aménager.
Équiper en vue d’un certain type d’exploitation. Aménager un fleuve, une vallée. Aménager une forêt, un bois. En organiser l’exploitation. Avec le préfixe a, exprimant l’idée d’absence, de privation, souvent dit : a privatif, qu’on trouve dans les termes amoral, asocial, analphabète, etc. (Dictionnaire de l’Académie française). Aménager donc, faire des aménagements, sans ménagements. Sans prêter attention à ce qu’on aménage à tout ce qui vit là selon son propre rythme. Et toutes celles et tous ceux qui sont là, qu’on ne voit pas, les esprits, les histoires, les cabanes camouflées, souvenirs, invisibles, juste une composition qui fait naitre la beauté entre courbes et contrastes. Oui, mais aménager, il faut aménager, sans aucun ménagement. Peut-être, faire disparaître les sapins sur la crête, les arbres aux essences autres qui font naitre leur feuillage avec d’autres couleurs, au moment qu’ils choisissent comme le plus propice à leur développement propre, leur croissance, leur survie.
Oui, mais, aménager.
Oui, mais voilà souvent le ménagement me manque. Alors, se réfugier entre deux catastrophes bien au chaud dans les livres. Entre nous et dehors, que du blanc et du noir, du à toi ou à moi, alors qu’avec les mots, la nuance est immense, ne pas céder au tout sans tomber dans le rien, aménager le monde tout en le ménageant, écrire en modulant, ménager la distance et varier les points de vue, voir la vie et ses vagues par les yeux de Bernard, de Louis, de Neville, de Jinny, de Susan, de Rhoda et un peu Percival. Merci Virginia Woolf pour ces beaux ménagements

Borie

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Redortiers, Les Omergues, juillet 2023

Borie, cabane en pierres sèches. Reprise d’un ancien mot adapté au moderne pour dire la pierre calcaire quand cabane fait penser un peu trop au rondin, au bois et à la branche, à l’éphémère des planches bricolées, arrangées pour abriter les jeux des enfants du dehors. Mot adapté pour dire aux gens de maintenant ces cabanes de bergers, des pierres juste empilées, juste posées savamment les unes au dessus des autres, assemblées avec art, le grand art des beaux gestes, le savoir du regard qui passera par les mains de ceux qui vivaient là. Une cabane qui raconte sur le sec du plateau, le râpeux de la pierre et le rêche des toisons emmêlées aux épines, le juste nécessaire. Et le temps d’un orage ou celui d’un coup d’œil on retrouve en passant la sagesse des abris faits de pierres, juste de pierres, adaptation au manque qui se joue du terrain, qui ne laissera à l’avenir ni béton ni plastique. Juste une admiration pour le temps du coup d’œil, pour cette simplicité sincèrement authentique, une façon d’oublier un peu vite la durée, l’âpreté de ces vies toutes entières consacrées au service des troupeaux là-haut dans les montagnes