Faites parler les images #9

"Faites parler les images" est un atelier d'écriture en ligne, mis en place et animé conjointement avec la photographe Céline Jentzsch. À retrouver sur son site, rubrique blog, en compagnie de ses plus belles images !

Le lac du cygne

Ils se regardent. Chacun à un bout du ponton. Entourés par la foule compacte des gouttes de pluie, ils sont seuls à se faire face, immobiles. L’un est en bleu, capuche sur la tête et mains dans les poches, l’autre est en blanc encore tout propre en ce début de saison, il a été pomponné, briqué, apprêté. Entre eux, les nuages et les eaux du lac s’essayent à une palette de tons dégradés dominés par le gris. Ce cygne, c’est son bateau pour les quatre mois à venir, il sera aux commandes, seul maître à bord. Capitaine de cygne à couronne dorée. Sur un lac.

Petit, aux commandes de son atlas dans la tempête furieuse de ses draps, il se récitait des formules magiques, des mots à vous faire voyager des années entières, le nez dans le bleu, loin du tableau noir. Valparaiso, Zanzibar, Amsterdam, Djibouti, les grands bancs de Terre-Neuve, l’île de la tortue, la statue de la liberté à l’entrée de New-York, le pont de Recouvrance avant de rentrer à la maison après Vladivostok. Pour y arriver il a bien fallu s’y mettre, regarder de plus près les petites lignes si droites qui enferment les cartes, y mettre des nombres, les remplir de formules compliquées, troquer les bottes en caoutchouc pour l’uniforme bleu marine. Ça n’a pas été simple, mais il y est arrivé. Pas dans les premiers, mais pas non plus le dernier.

Et puis la vie s’en est mêlée. Léa est arrivée, elle a tout simplifié, tout enluminé. Puis elle a tout emmêlé, tout compliqué, et elle est repartie, laissant juste un grand vide. Au mauvais moment, au moment des affectations. Classement moyen, les passerelles à moquettes et les cuivres bien astiqués, ce serait de toutes façons pour les autres. Il s’est trainé ce jour-là devant le grand bureau couvert de papiers eux-mêmes couverts de listes, de tableaux et de noms, pour s’entendre hausser les épaules dans un grand soupir. « N’importe quoi pourvu que ça flotte ».

Et voilà. Ce cygne qui flotte, c’est n’importe quoi. Mais il flotte. Et il en est le capitaine. Capitaine de carton-pâte ? Mascarade ?

Depuis sa nomination, le temps a érodé ses humeurs et ses avis. En transit au bercail, sur le vieux banc de bois tout en comptant les vagues arrivant sur la plage, il a contemplé, réfléchi, écouté. Assise à côté de lui à la veille du départ, Mémé a giflé ses colères de son sourire si sage.

Tout doucement le quitte, ce goût de plumer la bête pour équiper ses flèches… C’est peut-être le signe qu’il se fait au cygne et qu’au lieu de le maudire, de le blâmer et de le condamner, il va finalement, en pensant à Mémé, essayer d’en tirer le plus de douceur possible.

Et pour lire les textes des autres participants à l’atelier, c’est ici : http://celinejentzsch.com/faites-parles-les-images-9/

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