Faites parler les images #10

"Faites parler les images" est un atelier d'écriture en ligne, mis en place et animé conjointement avec la photographe Céline Jentzsch. À retrouver sur son site, rubrique blog, en compagnie de ses plus belles images !

Dixième atelier, dix images !

Dix images, dix textes : un dixtique !

– Cadre :
Tu aurais dû faire attention au cadre. Aux attaches. Elles sont dans le cadre, comme on dit en photo. Dommage, c’était plutôt bien fait, aligné sur la tapisserie, la lumière vient de gauche, l’œil commence par la forêt, les cavaliers sur leurs rennes, puis le regard se laisse guider par les traces sur la neige, il arrive aux tentes, au filet de fumée qui ramène sur la gauche, à la case départ du voyage de l’œil dans le tableau. Te laissant de côté, toi le personnage en orange qu’on ne remarque presque pas tellement tu es au bord du cadre…

– Petite fille endormie :
Longtemps je me suis couchée de bonne heure, à la recherche du temps perdu des sommeils de l’enfance, du temps perdu des rêves de l’enfance. Quand tout est encore faisable, quand l’impossible n’est jamais un frein, quand le fantastique est la règle. Quand un baiser de maman anéanti pour la nuit entière les angoisses, les peurs et les dragons, quand les plus grandes frayeurs sont celles qui se cachent sous le lit, quand dans un seul rêve et en une seule nuit on est éboueuse, marin, architecte, aventurière ou poëte. Quand le monde des grands nous est encore ouvert. Grand…

– Chaussures dans la poussière :
Seules les chaussures neuves sont vides. Les tiennes sont encore toutes remplies de toi. Elles gardent encore un peu de ce rouge de tes joues, quand tu me souriais. Dans tes chaussures il reste la trace de ton talon, quand tu regardais partir le bateau pour Ouessant. Un peu de vide au milieu, pour la voûte de ton pied, qui abritait toutes nos étoiles. Et ce pli sur l’avant, quand tu marchais vers moi, vers ce porche rue de Siam, quand tu te grandissais pour te serrer contre moi, ruisselante, ravie, épanouie. Souviens-toi, Barbara. Il pleuvait sur Brest ce jour-là…

– Chapelle bord de mer
Elle allait à la plage comme d’autres vont au cimetière. Solennellement vêtue de noir, elle se rendait tous les ans à la chapelle avec son escabeau. Elle gravissait cinq marches pour atteindre la maquette de la Marie-Annick, époussetait le petit bateau, enlevait les toiles d’araignées et déposait quelques brins de laine bleue, celle du dernier bonnet tricoté à son Fanch. Il venait d’avoir vingt ans.
Maintenant qu’elle n’est plus là, c’est lui, François, son fils né orphelin qui va veiller sur l’ex-voto suspendu dans la petite chapelle de granit posée là, au ras des flots, dans la Baie des Trépassés. 

– Rêve de paysage
C’est un moment très court, bref, et éphémère, ce moment où on ouvre les yeux. Battement de cil, la lumière est là mais l’œil, lui n’est pas encore complètement réveillé. On est en transition, entre le sommeil et l’éveil. Les sensations arrivent, mais on a du mal à les classer entre fiction et réalité. Les images se mélangent, se superposent, se trompent de tiroir. Ciel ? Mer ? Nuages ? Désert ? Où est le haut ? Où est le bas ? Où suis-je ? Qui suis-je ? Qu’est ce qui est important ? Et que vais-je faire de cette journée ?

– Lessive sur cintres
Les anciens racontent qu’avant, les gens ne portaient pas tous le même vêtement. Il y avait des formes différentes, des couleurs différentes, et même des matières différentes. Ça dépendait de l’endroit où on vivait, parce que les gens sortaient, il n’y avait pas encore le climat universel. Et tous ces habits portaient des noms différents, sari, jupe, djellaba, pantalon, chemisier, cape, kilt, parka, débardeur, tunique, … Certains étaient déjà faits en matières synthétisées, mais d’autres étaient tissés de fibres naturelles, de plantes ou d’animaux disparus comme le coton, le lin ou la laine des moutons. Ça devait être magnifique, cette diversité !

– Bollywood miroir
Pulvérisateur, brosse, crème pour le visage, sèche-cheveux pour la mise en pli, fil et aiguille pour un point de couture sur le sari. J’emmènerai tout. En sortant, je donnerai un dernier coup d’œil aux posters, pour conjurer le sort. Ensuite je rentrerai en scène, comme tous les soirs. Danseuse traditionnelle, je suis la dernière d’une longue chaine. Quand je danse, toutes mes devancières sont avec moi, elles dansent avec moi m’aident à contrôler mon cou et mes poignets, mon regard… Quand ma fille dansera, je danserai avec elle. Demain, elle sera ici à ma place, aujourd’hui, c’est mon dernier soir.

– Assis dos à la grille
J’avais apporté des lilas. Pour ma Madeleine à moi. Bien sûr, elle ne s’appelle pas Madeleine, ma Bithi, mais ce soir plus que les autres soirs, ces mots sont intimement plaqués à mon histoire. Jacques Brel n’est pas très connu ici, mais j’ai entendu cette chanson dans un film Bollywood. Les deux amoureux héroïques visitaient Paris, tour Eiffel en carton doré, fleuve Ulhas pour la Seine, mais la chanson était vraie. Trop vraie. Ce soir, Bithi est restée avec sa famille et ses frères, qui valent bien les Joël, Gaston et Gaspard de Madeleine.  Ce soir, j’ai jeté mes lilas…

– Ombre sur mûr vert :
Demain dès l’aube, je partirai, je suivrai mon ombre dans le soleil couchant. Je passerai le portail en fer forgé, sans le refermer. Je prendrai le savoir et je reviendrai. Il faut multiplier le savoir, pas le partager. Si tu as le savoir et que tu me le donnes, nous sommes deux à l’avoir. Et personne n’a rien perdu, nous avons tous les deux gagné. 
Je veux ma part de votre savoir. Et je l’aurai. Pour à mon tour, le distribuer. Alors le portail en fer des maisons de chez moi sera comme un soleil levant qui dispense ses rayons.

– Montgolfière :
Tu sais maman, je l’ai vu, moi, le voleur. Le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu et même le violet, il les a toutes mises dans un grand sac géant. Ensuite, il s’est envolé dans le ciel, mais le sac était mal fermé. Pourtant, il devait le savoir, lui, qu’il risquait de les perdre, parce qu’il y avait un grand panier en dessous du sac, pour les rattraper si elles tombent. Dis- maman, tu crois que le monsieur a volé les couleurs pour repeindre le ciel en orange et en rose quand le soleil va se coucher ? 

Et pour lire les textes des autres participants à cet atelier, c’est ici : http://celinejentzsch.com/faites-parler-les-images-10-surprise/

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