Archives de catégorie : Nuages

Sens

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Lorsque sens a le sens de signification, on peut voir les nuages comme dans le « Paroles d’artiste » où parle Alfred Stieglitz :

Un homme (regardant un Equivalent) : Est-ce là une photographie d’eau ?
Stieglitz : Quelle différence cela fait-il de savoir de quoi c’est une photo ?
L’homme : Mais est-ce une photographie d’eau ?
Stieglitz : Je vous dis que cela n’a pas d’importance.
L’homme : Bon, alors c’est une photographie du ciel ?
Stieglitz : Il se trouve que c’est une image du ciel. Mais je ne saisis pas en quoi cela a la moindre importance.

Le sens d’une photo, une photo de nuage comme les images qui font les deux séries semblables, Songs et Equivalent chez Alfred Stieglitz, n’a pas toujours le sens que certains lui voudraient. Ni le sens, ni même le sens. Ni signification ni orientation, peut-être que les nuages n’ont, eux, aucun de ces deux sens. C’est un grand avantage, pas de sens, pas de contresens, pas de bon ni de mauvais sens. Là-haut dans les nuages, certains trouveront du sens pour dire la météo, pour prévoir les orages, le sec ou bien la pluie, mais d’autres verront des choses complètement différentes, voire pas de choses du tout, juste des émotions, des souvenirs, des pensées, des peurs ou des envies, des sourires pourquoi pas.
Pour un autre sens de sens, celui qui oriente, quand on regarde les nuages, on saura quand même bien où est le haut, le bas et la gauche et la droite ou bien l’est et l’ouest. Mais quand sur une image on ne voit rien de la terre, ni des arbres, ni de rien, c’est bien plus compliqué de choisir le bon sens. Un quart de tour à droite, demi-tour, symétrie, rien ne viendra ensuite dire que c’est le mauvais sens.
Quant à nos sens à nous, les cinq sens dont on parle quand on pense sensations, au pays des nuages posés sur une image comme c’est le cas ici, seule la vue nous aidera, pas de froid sur la peau, de vent dans les cheveux, d’humide qui enveloppe ou de souffle dans les arbres, sentir que le vent tourne, ne pas se sentir à l’aise quand ça n’en sent pas la rose. Devant une photo, les cinq sens bien souvent, donnent pouvoir à la vue.
Peut-être juste pas de sens pour les photos de nuages, chacun choisit le sens qu’il voudra bien choisir, on peut même voir la mer dans ce genre de photos, puisque comme dit Stieglitz, cela n’a pas la moindre des importances.

Rochers comme nuages tombés à terre

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Rochers comme nuages tombés à terre.
Ces beaux mots d’ouverture sont de Gracia Beijani, du vidéopoème ne pas voir vieillir nos mains.
Une phrase comme un cadeau, un immense commencement, une incitation douce à déplacer nos yeux au-delà du juste en face, faire du regard le lien entre le bas et le haut, entre le haut et le bas ou juste poser ses yeux au sommet des montagnes ou se posent les nuages pour devenir rochers. D’autres sont tombés là il y a déjà longtemps, ils roulent sous nos pieds, mobilisent nos chevilles, offrent asile à nos yeux, à nos corps fatigués. Alors du bout des doigts, on suit les couches, les strates, des stratus en millefeuilles, des pages de nuages, des liasses de roches comme feuillets dans un livre, savamment empilés comme albums de souvenirs, puisque le temps des uns n’est pas celui des autres. Les instants des nuages sont les ères des rochers, juste changer d’échelle pour voir la filiation, les liens de parenté, de famille, de lignage, ciel et sol comme fratrie, comme notes d’une même portée. Rondouillards rochers comme cumulus d’été, tout habillés de mousse, de lichens, de feuilles mortes pour inciter nos yeux à ne pas se laisser aller, ne pas rester en surface, ne voir que la couleur quand la forme est la clé, le portrait par les traits. Ensuite vient le toucher, les mains ouvertes en grand et puis fermer les yeux, tête tournée vers le haut, sous les doigts le nuage quand les yeux disent rocher, choisir celle qu’il nous faut parmi les sensations qui reviennent à la tête ou bien admettre les deux, loin du trop cartésien, qui, sans pour autant nier toute réalité, serait bien avisé de nous laisser rêver, au moins de temps en temps.
Une bien longue histoire, les nuages et leur relation au reste du monde, ou plutôt :
Thirty-five or more years ago I spent a few days in Murren (Switzerland), and I was experimenting with ortho plates. Clouds and their relationship to the rest of the world, and clouds for themselves, interested me, and clouds which were most difficult to photograph-nearly impossible. Ever since then clouds have been in my mind most powerfully at times, and I always knew I’d follow up the experiment made over 35 years ago.
I always watched clouds. Studied them. Had unusual opportunities up here on this hillside.

Écrivait Alfred Stieglitz dans How I came to photograph clouds, article paru le 19 Septembre 1923 dans la revue The amateur photographer and photography. Alors, pourquoi encore maintenant faudrait-il hésiter à sortir les nuages de leur tiroir céleste pour pouvoir aisément les admirer juste là, tout près, sous nos pieds, sous nos mains, sous nos yeux, ces rochers, ces photos en relief des nuages comme rochers tombés à terre

Encore un grand merci à Gracia Beijani pour ses mots qui ont donné vie aux miens. Pour découvrir le travail de Gracia, sa chaine Youtube et son site 

L’âge des nuages

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Barbe blanche, chevelure pâle, c’est sûrement un nuage déjà d’un certain âge. Savoir l’âge des nuages, question pas vraiment sage pour une réponse rapide, sans interrogations, sans prolongements possibles, probables et même certains. Quel est l’âge des nuages, ont-ils d’ailleurs un âge, est-ce que ça a un sens de poser cette question. Sujet bien délicat pour ces êtres changeants, qui filent et se déforment, se transforment, se scindent et se ressoudent, disparaissent, se gonflent jusqu’à devenir encore bien plus gros que des buffles, juste avant de pâlir, de se désagréger, de ne plus exister, à nos yeux d’êtres humains. Nuages de montagnes au-dessus des sommets, nuages chargés de sel sur les crêtes des vagues, nuages ivres de sables au-dessus des déserts, ils se ressemblent, s’assemblent et sont soit toujours jeunes soit toujours très âgés et juste réarrangés, chargés de tout ce qui, un jour, a croisé leur chemin.
Si l’âge des nuages est chose trop compliquée alors juste revenir à l’image des nuages figée dans un cliché, un arrêt en image, existence éphémère, cycle de vie éclair, car c’est chacun son rythme, loi des saisons d’une herbe, d’une vie animale, de l’existence d’un arbre, d’une forêt, d’une montagne.
Alors, pour le souvenir s’en remettre au cliché, à l’image, la photo, collection de nuages comme des portraits de famille. Des plaques d’Alfred Stieglitz à ce qu’on peut découvrir au milieu des fichiers de nos images numériques découpées droit dans le ciel un de ces jours sans plafond, sans canopée, sans toit. Alors de ces jours-là se faire un peu solitaire, presque un peu étranger au doux ronron des jours qui viennent l’un après l’autre, réguliers, identiques, sans jamais de faux pas, ni de pas de côté, se faire comme l’étranger, celui qui n’a pas d’âge, celui de Charles Baudelaire dans le Spleen de Paris :
Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
Tes amis ?
Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
Ta patrie ?
J’ignore sous quelle latitude elle est située.
La beauté ?
Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
L’or ?
Je le hais comme vous haïssez Dieu.
Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !

Spectre

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 

Le spectre de la lumière blanche pourrait être le titre d’une histoire de fantôme, d’ectoplasme, de revenant. Mais non. Spectre dans ce cas-là est le mot utilisé par Isaac Newton pour décrire l’expérience par laquelle un fin rayon de soleil entre dans un prisme droit et ressort de l’autre face, mais tout décomposé pour offrir à la vue, bien rangées côte à côte, toutes les couleurs visibles par notre œil d’humain. Arc-en-ciel in vitro. Quant au choix du mot spectre, il dit l’incertitude des recherches alors en cours qui justifient l’usage du mot utilisé partout en ces temps des Lumières pour les illusions, les apparences immatérielles et tous les phénomènes optiques qu’on ne s’expliquait pas. Aujourd’hui, parler du spectre de la lumière blanche c’est parler de l’image colorée qu’on peut voir, la partie du spectre du rayonnement électromagnétique accessible à notre œil d’humain, spectre coincé entre l’infrarouge et l’ultraviolet. Ces rayonnements, qu’on les connaisse ou pas, qu’on se trompe sur leur compte ou qu’on ne sache pas encore ont toujours fait noircir des éléments chimiques, tels que les sels d’argent, sensibles à leur charme. Avec de temps en temps, une petite préférence pour une certaine couleur. Pour le bleu par exemple dans les émulsions chimiques utilisées au début du vingtième siècle en photographie. Résultat malheureux de cette préférence, sur une photo en noir et blanc, le bleu du sujet photographié finissait, sur l’image, bien plus clair que les autres couleurs, le bleu du ciel, pâle comme les nuages. Pas de contraste, pas d’image, ou au mieux pâlichonne, mollassonne et pas à la hauteur du douillet potelé des nuages comme sujets. D’où les déconvenues d’Alfred Stieglitz pour ses premiers essais de photos de nuages. Heureusement, la cuisine photographique a vite amélioré ses recettes et mieux équilibré le rendu des couleurs en valeurs claires et sombres, de façon plus conforme à ce que voit notre œil. Et permis à Alfred Stieglitz de rendre les nuages enfin photogéniques, même de fins nuages blancs sur un fond de ciel très bleu.
Pour ce qui est du spectre, on a gardé le même mot pour les deux champs d’études en pensant d’évidence, en haussant les épaules, parce qu’évidemment, il n’y a aucun risque que puissent se confondre les peurs surnaturelles et la sérieuse science. D’un côté on a spectre pour dire l’étalage d’une répartition, comme l’image colorée des sept de l’arc-en-ciel. Et de l’autre côté, du côté fantastique, l’autre spectre est resté pour tout ce qui fait peur sans avoir vraiment de forme ni de nom très précis, souvent c’est lumineux, ou disons plutôt pâle, aux contours irréels, et pas très rassurant.
Les pas très rassurants quand on parle de nuages, sont les nuages d’orages, sombres enclumes menaçantes, pleines d’éclairs et de pluies, de vents furieux aussi. Et les plus dangereux seront bien sûr les plus sombres. Quand le spectre pour sa part fera monter la peur à cause de sa pâleur. C’est sûrement pour ça que l’on n’entend jamais, même dans les châteaux abandonnés d’Écosse, des histoires de fantômes dont les héros, flottants, pâles et évanescents seraient des spectres de nuages

Tête en l’air

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 
Alfred Stieglitz, 1926

Être tête en l’air, c’est pour les étourdies, les étourdis, les distraites, les distraits, les rêveuses, les rêveurs, les absents, les absentes d’ici et de maintenant. Les artistes. C’est un vilain défaut, à l’école, au travail et pour tous les humains attelés aux choses sérieuses. Pourtant, être tête en l’air est bien le seul moyen d’observer les nuages. D’observer les nuages et de les photographier.
Être tête en l’air, c’est ce qu’a fait, très sérieusement, avec constance, un grand sérieux et une application sans faille, Alfred Stieglitz entre 1922 et 1935 pour ses séries Songs, puis Equivalent ou Equivalents, série dont est issue la photo ci-dessus. Il voulait qu’on regarde la photo comme un art et pas seulement une façon relativement fidèle de copier le réel. Il y avait déjà l’émotion des visages dont il faisait le portrait, l’émotion des scènes de vie à New York ou ailleurs, alors juste rajouter toutes les émotions de l’autre côté de l’appareil, de l’autre côté du tirage, celles du photographe et puis de qui regarde les images exposées. Une émotion photographique qu’il voulait rapprocher de celle de la musique, d’où le nom de sa première série de nuages, Songs.
Nuages, émotions, photos, une invitation à se faire tête en l’air, à offrir son visage à l’air, à la pluie, au vent, à la neige, à y regarder de près dans ce dehors si haut, à y déposer, par les mots, et les phrases, un peu de son dedans.
Être tête en l’air, on ne le fait pas souvent, regarder droit devant et les yeux dans les yeux plutôt que dans les cieux, regarde donc ce que tu fais ! Quand les yeux aident les mains, le travail ou l’étude, l’endroit où les pieds se posent, ou les yeux occupés par les mots du papier, les images de l’écran. Et tant d’autres distractions qui nous éloignent toujours de notre être nuageux.
Être tête en l’air, parce que chez les humains, on ne rigole jamais quand on parle de la tête. Siège de ce qui nous fait nous, le visage tout d’abord, nez, bouche, oreilles et yeux, tout ce qui nous permet de recevoir au mieux les signaux du dehors. Sans oublier le toucher, par la peau du visage. C’est elle qui sera sensible aux paroles du vent, tant murmures que tempêtes, humidité aussi brouillard, brume ou bien pluie. Ne pas oublier la neige, gouttes à retardement, flocons qui deviennent eau en dispensant leur froid.
Alors, très sérieusement, se faire tête en l’air, pour voir ce qu’on peut voir dans l’air et ses nuages, quand on y regarde mieux, comme le faisait si bien il y a maintenant un siècle, l’artiste Alfred Stieglitz