Faites parler les images #13

"Faites parler les images" est un atelier d'écriture en ligne, mis en place et animé conjointement avec la photographe Céline Jentzsch. À retrouver sur son site, rubrique blog, en compagnie de ses plus belles images !

Souvenirs

 

Eux, ils étaient venus à pied. Arrêtés par la mer dans leur très long voyage, ils avaient enlevé leurs chaussures et ils marchaient sur la plage. En silence. Le vent qui gonflait leurs habits avait une odeur d’algues et un goût de sel. Leurs pieds laissaient des empreintes à peine visibles dans le sable mouillé, elles seraient effacées par la prochaine vague, comme les traces de pattes laissées par les oiseaux depuis longtemps envolés.

Elle, elle était venue en avion voir sa sœur qui travaillait pour l’Unesco, et elle en profitait pour découvrir ce pays qu’elle ne connaissait pas. Elle voulait se reposer après une longue enquête et la bataille encore plus longue qu’elle avait dû mener pour faire publier son histoire. Le soir allait commencer à tomber, elle avait enlevé ses chaussures et elle marchait sur la plage. En silence. Le vent qui gonflait ses habits avait une odeur d’algues et un goût de sel. Ses pieds laissaient des empreintes à peine visibles dans le sable mouillé, elles seraient effacées par la prochaine vague, comme les traces de pattes laissées par les oiseaux depuis longtemps envolés.

Elle et eux avaient parlé longtemps sur cette plage autour du feu qui les avait réunis. Chacun dans son anglais ils s’étaient racontés. La vie qui n’en était plus une, le départ, les marches, les trajets en voiture, en camion, en bus, même à vélo. Les petits boulots pour se refaire et continuer, les maladies, les vols, les viols, les arrestations, le racket, la faim, la soif, la solitude, la solidarité parfois, les trahisons souvent. Et la mer qu’il faudrait traverser pour continuer, pour arriver enfin là où ce serait enfin la vraie vie.

Elle leur avait demandé et ils avaient acquiescé. Alors elle avait noté. Elle avait tout noté, les noms, les lieux, les dates, les anecdotes, les regrets, les aveux, les envies, les rêves. Tout.

De retour chez elle dans son pays sans mer, sans plage et sans chaleur, elle avait écrit leurs histoires. Elle avait effacé, recommencé, réécrit, essayé de recontacter les uns et les autres, intégré les nouvelles reçues ou téléphonées ou griffonnées et postées. Puis elle avait cherché à faire publier son histoire. Mais personne n’en voulait plus de ce genre d’histoire, ils en avaient déjà publié une sur le sujet dans le numéro précédent, en avaient déjà refusé deux autres, n’étaient pas intéressés, ne pensaient pas que ça pourrait avoir sa place dans les colonnes, ne voyaient pas ça en accord avec leur ligne éditoriale, pensaient qu’elle devrait revenir plus tard parce que là, oui c’était bien écrit, mais non, ils ne le publieraient pas.

Et elle l’avait appris par la mère de l’un d’eux. Leur bateau avait coulé dans la tempête censée les dissimuler aux regards des gardes-côtes. Ils ne savaient pas nager, personne ne leur était venu en aide, ils s’étaient noyés. Tous les six. Comme tous les autres passagers du bateau.

Alors elle avait planté des arbres. Six. Un arbre pour chacun d’eux, en haut de la colline dans son pays de froid, son pays qui fait tant rêver ceux qui cherchent la vraie vie.

Et pour lire les textes des autres participants à l’atelier, c’est ici : http://celinejentzsch.com/faites-parler-les-images-13/

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