Dans l’infra-rouge

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

Du Baudelaire. Mais pour l’histoire en cours, je l’ai écrit comme ça, sans guillemets ou autre marque de citation, alors que ça n’est pas de moi. Je n’ai pas conçu cette phrase, même si maintenant je l’ai adoptée et que je ne la quitterai plus, puisqu’elle va si bien à mon personnage. Mais j’ai gardé les majuscules des vers, même au milieu de la phrase. Et un point à la fin. Je me suis même permis de changer un mot, le premier, dans le poème le verbe est « ouvrait », pas « ouvrant ». Je ne sais pas si ça se fait, mais à ce moment-là, c’était ça qu’il me fallait, exactement ça. Cette phrase-là. Ou rien.


Ma main a écrit à ma place. Humeur macabrement poétique. Vers et vers. Succession d’anneaux, succession de mots, liés l’un à l’autre et qui forment un tout, une nouvelle entité. Une phrase ? depuis le temps que j’écris, que je fais donc des phrases, je ne me suis jamais posé la question de savoir ce qu’est une phrase. Vraiment posé la question. Sans regarder dans le dictionnaire, définir une phrase à partir de l’habitude, de la pratique de lire et d’écrire ? Ces phrases que je construis sans le savoir, comme un petit enfant apprend sa langue maternelle, en écoutant, en répétant, en la voyant écrite, en écrivant à son tour, sans grammaire ni syntaxe. Sans théorie pesant sur la pratique.

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

Déformation scientifique, mathématique : partir de la base, de l’atome, de l’axiome. Le mot est la base. Une phrase c’est plusieurs mots. Comme le ver et ses anneaux. Ou même un seul mot. Donc une phrase c’est un assemblage d’un plusieurs mots. Assemblage pour un seul mot ? ça ne marche plus. Le cas d’une phrase d’un seul mot, il suffit d’en faire un cas particulier, pas de problème en français, les cas particuliers. Ensuite les éléments de base, les mots appartiennent à tout le monde, ils sont dans le dictionnaire. Mais certains assemblages sont « brevetés », ils sont associés au nom de la première ou du premier qui l’aura utilisé. Le changer, c’est se l’approprier ? Le voler puis le retailler en faussaire dans le cas de mon vers de Baudelaire ? Ou un hommage ? Respect, reconnaissance ? Admiration ? je m’éloigne de la question.

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

Je pars là-dessus. « Une phrase est un assemblage de mots ». Majuscule, point, tiret, slash, blanc…. Juste là pour séparer les phrases, pour aider le lecteur. Pour qu’il respire au bon endroit quand il lit, qu’il s’arrête pour mastiquer sa phrase et puisse l’avaler, la goûter, la savourer peut-être, avant d’en reprendre une autre bouchée. Pas sûre qu’ils soient indispensables, surtout à voix haute, on lira les virgules, même là où il n’y en a pas. C’est une aide, des indications de pauses, de cuillerées. Ensuite, ce qui différencie aussi une phrase d’un vulgaire tas de mots pris au hasard, c’est le sens. Je m’enlise : maintenant il me faudrait définir le « sens » … Donnons donc au « sens » le sens commun, pour éviter l’abîme, le vertige des définitions infinies. Dans la phrase, celui qui écrit dépose son sens, le lecteur y trouve le sien. Souvent le même, c’est l’idée. Mais tout autour du sens visible d’une phrase, en infra-rouge, ou en ultra-violet, viennent se loger les sous-entendus, allusions, images, figures de style, implicite….

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

L’implicite. L’image, le choix du vocabulaire, l’agencement des mots, la grammaire, la conjugaison, la forme, le fond. Vertige encore, de l’infinité des paramètres. Détourner des usages, parler avec les yeux, faire siffler l’assonance dans le silence des pages qu’on tourne. Laisser le lecteur travailler, s’approprier le texte pour mieux le faire sien, le laisser s’impliquer pour mieux pouvoir l’emmener où on voudrait l’emmener. La phrase c’est la carte avec ses limites et ses frontières, mais c’est aussi la graine qui faire naître le paysage chez le lecteur. La partie de la phrase qu’on ne maitrise pas, pas complètement, pas toujours autant et pas toujours comme on le voudrait, ce serait elle, la plus importante ?  On en joue. Jeu risqué, mais qu’on joue avec délice, sinon, qui lirait ? qui écrirait ?

Un jeu ? Sérieux comme tous les vrais jeux ?

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

N’ayez pas peur !

C'est juste une newsletter !
Abonnez-vous pour être informé•e des dernières nouveautés 🙂

Nous n’envoyons pas de messages indésirables ! Lisez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

2 réflexions sur « Dans l’infra-rouge »

  1. Chère Juliette
    Je ne me prononce pas sur le fait de faire un plagiat pas exactement un copier- Collet ici ce n’est pas le but je pense d’autant qu’il manque quelques mots aussi alors sans doute un remaniement Baudelaire dans les fleurs mal place cette charogne au bord ( détour) d’un sentier et décrit la charogne de telle façon qu’on se l’imagine et on a presque envie de se boucher le nez …
    J’ai juste envie de dire ce que peut changer la transformation concernant le changement de temps et la ponctuation ou l’absence de cette dernière
    Un mot avec comme seul accompagnement l’article qui lui donne son genre de manière assez indéfinie « une » et pas « la » qui pourrait indiquer plus précisément cette charogne. Le «une » cela ça pourrait être n’importe quelle charogne mais comme pas magie en l’isolant de la sorte elle devient LA charogne elle est la s’impose à nous il n’y a qu’elle imposante elle prend tout l’espace.
    Le participe présent au lieu de l’imparfait renforce cette idée de charogne imposante, impossible de détourner le regard encore plus de force.
    Et la « cerise sur le gâteau » la majuscule avec Son ventre ( sans aucun retour à la ligne, ni point) pas n’importe lequel Baudelaire a fait usage de l’adjectif possessif dont l’usage offre au lecteur l’image d’une charogne presque humaine dans la description en parlant de jambes en l’air – ici nul besoin puisque nous avons cette majuscule qui sollicite notre imaginaire et l’image s’impose à nous.
    L’importance des temps conjugués, de la syntaxe, de la ponctuation participe à la force d’un texte et comme tu le soulignes, le vocabulaire ( j’ai presque envie d’y ajouter une majuscule à ce vocabulaire souvent maltraité, pauvre dans la vie de tous les jours); la grammaire, etc. font la richesse de la langue française en faisant passer des émotions, des images qui sans cette richesse amoindrirait le texte et par conséquent le ressenti

    1. Merci Sylvie, tout à fait d’accord sur l’importance de tout ce qui fait une phrase pour influer sur celle-ci ! C’est bien ce qui rend l’activité d’écrire aussi glissante que grisante…

Répondre à Juliette DerimayAnnuler la réponse.