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Surface

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 
Photo © Régis Derimay

Surface. Vue d’ici ou de là, elle ne sera pas la même. La surface de l’eau vue de dessous la vague pourrait sûrement ressembler à l’image ci-dessus. La surface de notre air, de l’air que nous respirons, celui dans lequel on vit serait notre surface, les oiseaux, ses poissons ; les avions, ses surfeurs.
La surface nous indique le dedans, le dehors, le dessus, le dessous, le devant le derrière. Ou bien tout le contraire suivant là d’où l’on voit.
Surface en interface, contact entre deux mondes, celui de l’eau et de l’huile ou de l’eau et de l’air, de l’eau et de l’écume, de l’air et des nuages. Une surface toute en courbes, toute en ondulations, en bourgeons sur les branches juste avant le printemps, en cime de forêt regardée de dessus sans le détail des feuilles, en douceur arrondies comme on passerait la main sur les hautes herbes jaunes à la fin de l’été.
Surfaces en bulles, ébullition, frémissement, le levain dans son pot avant de faire le pain, les pommes dans leur cageot, fermentations diverses, champignons bien serrés par les automnes chanceux, les nuages nous emmènent, essaim de montgolfières, dans des mondes lointains ou très proches ou fictifs, des mondes imaginaires que l’on ne peut atteindre qu’en tirant sur le fil de la réalité jusqu’à le rendre si fin qu’on ne le verra plus. Parfois c’est la technique et surtout son histoire qui nous donne un coup de main pour savoir qui est qui du réel ou de ce qui n’en serait pas vraiment. La photo sous-marine était certes inventée au temps d’Alfred Stieglitz, mais elle restait encore des plus confidentielles. Donc pour ces photos-là, notre imagination peut se contenter de l’air sans ajouter de l’eau à ses pensées possibles. Si dans les deux séries, Songs ou Equivalents était une telle photo, ce serait celle d’une vague vue depuis le dessus et non vue depuis l’eau. Ou une photo de nuages. Qui sait ? D’ailleurs, qui veut savoir ?
Une surface est toujours un endroit de contact entre milieux différents. Au lieu de faire la planche à la surface des choses, aller voir juste au bord, aller voir jusqu’au bord, jusqu’à former une bulle qui ira voir là-bas, découvrir autre chose, prendre le risque d’autrui, connaître un autre monde pour enrichir le sien comme on met dans ses mots, les mots de quelqu’un d’autre, comme des petites herbes dans nos vertes salades

Vague

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Au départ on aurait quelque chose de tranquille, une excroissance, une butte, une sorte de monticule, et puis ça grandirait, on aurait une colline, une éminence, un dôme, et puis une montagne et bientôt un massif. Ensuite ce serait le croche-patte, le haut qui part plus vite et plus loin que le bas, tout en déséquilibre, fauché par le ressac. Le sommet qui s’émiette, des atomes autonomes quittant la vague mère. Ça s’écroule ça bascule ça valdingue, ou bien ça s’effiloche, ça tourne au blanc d’écume, ça s’allonge sur le sable. Le rouleau se défait et le rond s’aplatit. C’est cette vague sur le sable, qui, en retournant à l’eau, viendra faire déferler la vague qui la suit. Mouvement perpétuel, respiration de mer. Lascives ou bien hargneuses, tranquilles ou étirées, elles auront un long nez, un visage arrondi, des oreilles décollées, des sourcils en bataille, de doux yeux en amande, un menton en galoche, des paumettes saillantes, avec une peau lisse ou piquetée d’algues brunes ou bien d’algues violettes les jours de couperose. À bien y regarder, chaque vague sera différente, un seul nom pour elles toutes, de même qu’on dit visage pour tant de mines différentes. Peut-être ce qui nous fait fixer pendant des heures ces rouleaux incomplets qui du bleu passent au blanc et d’unis se divisent, des tubes presque parfaits qui explosent en paillettes, ou en larmes infinies. Au bout d’un moment long à regarder la mer, le regard se fait vague et dévie le rouleau. Échanges entre nos têtes et celle de la mer, influences réciproques, vagues, floues et vaporeuses, elles diront la couleur de ce qu’on veut y voir. Pour peu que la nuit tombe et que les vagues frappent fort les rochers noirs et sombres, on se retrouvera du côté des Roches Douvres, assister terrifiés au combat de Gilliatt et de la fameuse pieuvre déposée par Hugo sur ces rochers barbares. Roulés entre les pages et trainés par les mots, on fermera le livre, trempés, exténués, encore tout retournés d’avoir été admis quelques centaines de pages parmi les héroïques travailleurs de la mer, invités par les vagues à enrouler les pages