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Vague

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Au départ on aurait quelque chose de tranquille, une excroissance, une butte, une sorte de monticule, et puis ça grandirait, on aurait une colline, une éminence, un dôme, et puis une montagne et bientôt un massif. Ensuite ce serait le croche-patte, le haut qui part plus vite et plus loin que le bas, tout en déséquilibre, fauché par le ressac. Le sommet qui s’émiette, des atomes autonomes quittant la vague mère. Ça s’écroule ça bascule ça valdingue, ou bien ça s’effiloche, ça tourne au blanc d’écume, ça s’allonge sur le sable. Le rouleau se défait et le rond s’aplatit. C’est cette vague sur le sable, qui, en retournant à l’eau, viendra faire déferler la vague qui la suit. Mouvement perpétuel, respiration de mer. Lascives ou bien hargneuses, tranquilles ou étirées, elles auront un long nez, un visage arrondi, des oreilles décollées, des sourcils en bataille, de doux yeux en amande, un menton en galoche, des paumettes saillantes, avec une peau lisse ou piquetée d’algues brunes ou bien d’algues violettes les jours de couperose. À bien y regarder, chaque vague sera différente, un seul nom pour elles toutes, de même qu’on dit visage pour tant de mines différentes. Peut-être ce qui nous fait fixer pendant des heures ces rouleaux incomplets qui du bleu passent au blanc et d’unis se divisent, des tubes presque parfaits qui explosent en paillettes, ou en larmes infinies. Au bout d’un moment long à regarder la mer, le regard se fait vague et dévie le rouleau. Échanges entre nos têtes et celle de la mer, influences réciproques, vagues, floues et vaporeuses, elles diront la couleur de ce qu’on veut y voir. Pour peu que la nuit tombe et que les vagues frappent fort les rochers noirs et sombres, on se retrouvera du côté des Roches Douvres, assister terrifiés au combat de Gilliatt et de la fameuse pieuvre déposée par Hugo sur ces rochers barbares. Roulés entre les pages et trainés par les mots, on fermera le livre, trempés, exténués, encore tout retournés d’avoir été admis quelques centaines de pages parmi les héroïques travailleurs de la mer, invités par les vagues à enrouler les pages