Tous les articles par Juliette Derimay

Fin septembre 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine froide et humide. Comme un avertissement, mise en garde ou rappel. Remettre dans nos idées, malgré le beau, le trop chaud de la semaine dernière que l’automne est en route et que du mois de septembre il ne reste plus grand-chose. Équinoxe le 25, la nuit égale au jour, pas seulement une histoire de ligne imaginaire, mais un réel changement dans la vie de toutes les plantes qui vivent de lumière. Changement pour nous aussi maintenant que le soleil ne se lève plus du tout au fond de la vallée, mais seulement une fois passée la première pointe des montagnes d’en face. Pour certains, sur l’ubac, débute la période où ils vivront dans l’ombre et le froid et l’humide qui vont avec cette ombre en attendant le printemps et le voyage retour du soleil et du clair. Se préparer alors à se remmitoufler, à se couvrir de chaud, de pulls, de bonnets et de moufles pour les mains et de livres pour la tête quand les nuages nous disent de revenir au rêve, à l’imagination mêlée aux souvenirs parce que les yeux, la vue, ne sont d’aucun secours les jours de grands brouillards.
De brumes et de brouillards, la semaine fut remplie. Et puis de pluies aussi. Des pluies de toutes sortes, des pluies fines et tenaces, gouttelettes à peine visibles, des gouttelettes en brouillard, silencieuses et furtives qui ressemblent davantage à une poudre qu’à des gouttes. Aussi au fil des pluies, des gouttes un peu plus grosses, qui tombent un peu plus vite, se moquent mieux du vent et jouent sur les capuches une chanson sans refrain qui s’égare dans ses rythmes. Parfois les pluies enragent de tombent de très grosses gouttes allant jusqu’aux grêlons qui battent sur les tôles de nos abris d’humains qu’on se prend même parfois à trouver dérisoires face aux violences du temps.
Mais septembre n’est pas mort, l’automne n’est pas l’hiver et rien n’est linéaire quand on parle du dehors, les saisons se chamaillent toujours un bon moment avant que ne s’efface celle qui était avant pour laisser toute la place à celle qui vient après. Alors s’émerveiller des premières salamandres et des dernières sauterelles, plus lentes et moins agiles qu’elles ne l’étaient l’été, mais qui sont encore là pour faire la transition, tout comme les feuilles des arbres chez qui le changement de couleur est bien loin de l’unisson.
Alors se réjouir de ces hésitations, de ces oscillations d’une saison à une autre, alternances propices aux discrets champignons qui pointent leurs chapeaux, leurs lamelles, plis et tubes pour qui aime observer et accepte d’errer à côté des sentiers avec toujours en tête la possibilité de revenir panier vide. Balade dans la forêt avec une bonne excuse, pour se laisser porter par une douce flânerie au grès des intuitions, des souvenirs de poêlées, des envies du moment. Un peu comme quand on lit se permettre de quitter une ligne trop rectiligne, mettre un livre de côté pour en ouvrir un autre, picorer ci ou là suivant ce qui fait envie pour profiter au mieux de ce qui est écrit, des délices des mots déposés dans la poêle avec une pointe de beurre histoire de fêter les goûteuses découvertes

Shetland #05 | Lundi 29 avril 2024

Lerwick — Catfirth — Hillside — Mossbank — Toft (Ulsta ferry) — Ulsta Shetland Ferry Terminal — Old Haa Museum and Tearoom — Gossabrough — Aywick — Mid Yell — Sellafirth — Cullivoe — Breckon Sands — West Sandwick — Ulsta Shetland Ferry Terminal — Voe — Dury — Brettabister — Catfirth — Lerwick

Carnet du voyage aux Shetland de S et N

Aujourd’hui, balade dans une autre île de l’archipel, une des autres îles de l’archipel. Les Shetland sont un archipel d’une centaine d’îles. Environ. Être ou ne pas être une île dépend de la hauteur d’eau qui elle-même varie avec la marée. Deux petites buttes sur une île à marée basse pourront faire deux îles à marée haute ou une seule si l’une est plus haute que l’autre ou plus aucune île si elles sont trop basses ou que c’est une grande marée. Et inversement. D’où l’incertitude sur le nombre d’îles de l’archipel, singularité de la nature sans aucun lien avec la qualité du travail géographique. Approximation de raison.

Un archipel, c’est plusieurs îles, mais avec quelque chose d’un groupe, quelque chose de commun. Ici, leur proximité géographique, une histoire, une culture, la vue qui permet de passer de l’une à l’autre presque aussi sûrement qu’avec le ferry. Un voisinage. J’omets les jours de brumes, où la vue ne suffit plus pour voir les îles voisines. Les jours de brume, les Shetland restent un archipel, et la disparition des autres îles, celles qui sont au-delà de celle qui porte nos pieds, n’indique pas obligatoirement qu’une île se détacherait, seule, pour aller voir plus loin sur le vaste océan en emportant au loin ses quelques habitants. Cette dernière idée ne serait rien d’autre qu’une idée de fiction sans aucune base sérieuse, évidemment. 

Yell a une forme compacte, presque rectangulaire quand on regarde la carte ou la photo satellite de loin. Elle est située au Nord-est de l’archipel et forme l’ensemble des îles du nord avec ses deux plus grandes voisines, Unst et Fetlar, situées au « carrefour de la mer du Nord », à peu près à la même distance de l’Écosse, de la Norvège et des îles Féroé. Une population d’environ 900 habitants pour une longueur de 31 km et une largeur maximale d’une peu plus de 12 km. Yell est habitée depuis le néolithique. Sur la carte, la forme de l’île peut faire penser à un dragon tête repliée sur la poitrine qui pousserait Unst du front pour mieux voir la Norvège et soufflerait des flammes qui formeraient Fetlar. On pourrait aussi y voir plein d’autres choses, mais les dragons ne sont pas à rejeter d’un revers de la main comme simples fantaisies, surtout dans cet endroit du monde posé entre deux mondes tout autant friands de légendes l’un que l’autre, les Vikings et l’Écosse. Peut-être un effet des nombreux jours de brume qui couvrent l’archipel, une façon d’isolement, se retrouver entre soi, avec soi, situations propices à laisser se développer l’imagination, une vision fantastique du monde autour de soi qui permette d’apprivoiser la forme particulière de la vie dans les îles loin au nord.

Les pierres de l’île racontent cette vie dure face à des éléments qui peuvent être d’une grande violence. Formée à l’aire glaciaire et située sur la faille calédonienne qui correspond au canal calédonien en Écosse « continentale », Yell est constituée d’un socle de roches, principalement du schiste et recouverte d’une épaisse couche de tourbe d’un mètre cinquante en moyenne exploitée pour le chauffage. L’île est plutôt sableuse à l’est tandis qu’à l’ouest on trouve plus de roches et des falaises abruptes.

Quant au nom de Yell, plusieurs origines sont possibles. Le nom Yell, mentionné dans les années 1300 sous le nom de Iala, pourrait être d’origine brittonique, dérivé de iala, signifiant « terre stérile ». Le protonorrois était Jala ou Jela, ce qui signifiait peut-être « île blanche », en référence aux plages. Le vieux norrois était Gjall, signifiant « aride ». En 1586 est mentionné le nom de « Yella ». Au début de l’époque moderne, il s’écrivait « Zell », une transcription erronée de « Ȝell », dérivé de la lettre initiale yogh, disparue depuis de l’alphabet britannique et dont la graphie était proche du chiffre arabe 3 toujours utilisé de nos jours et de la lettre cyrillique « Ze », З. Shetland vient de « Hjaltland », et le « Ȝ » symbolisait le son initial dans l’ancienne prononciation. Ceci rend plausible une autre explication possible, liée aux mots nordiques « hjalli » ou « hjallr », qui désignent une terrasse à flanc de montagne ou une corniche, un échafaudage, de même que ceux utilisés pour sécher le poisson. « Hjell » est l’orthographe et la prononciation actuelles en norvégien, et « hjallar » est la forme possessive singulière ou nominative plurielle en vieux norrois. 
(Source, Wikipedia, Yell).

Pour arriver à Yell depuis Mainland, il faut prendre le ferry. Depuis Lerwick et l’appartement qui sert de camp de base, prendre la route du nord, la grande route, la A970. Penser à faire le plein de la voiture, car les stations-service ne sont pas très nombreuses. De plus la météo du jour n’est pas particulièrement engageante, nuages et pluie fine, rien qui motive plus que ça à marcher longtemps au bord de la route, un bidon à la main. Catfirth, Hillside, puis la A968. Le temps est toujours nuageux, mais la pluie a cessé. Mossbank vers 10:00, puis Toft et le terminal des ferries pour Yell. Sur la côte opposée, le terminal pétrolier de Sullom Voe. Ne pas se tromper de terminal. La liaison entre Toft et Ulsta annonce un ferry environ toutes les demi-heures, c’est dire l’importance des liaisons maritimes entre les îles de l’archipel, une façon supplémentaire de faire groupe pour ces îles. Arrivé au terminal, la terre se rétrécit, un fin passage mène jusqu’au gros nez bleu du bateau qui se retrousse pour laisser embarquer les voitures. Le temps de la traversée, le ferry se transforme en un petit monde à part, une bulle, une parenthèse, un chapitre, presque un livre, une petite nouvelle dont le nombre de pages serait intimement lié au temps de la traversée. Personnages qu’on devine ou qu’on entrevoit quelques instants seulement, qui font marcher le bateau, l’entretiennent l’amarrent, ils sont en bas, aux machines ou dans la pièce du haut, la timonerie, cabine de pilotage, cette pièce toute vitrée avec vue tout autour sur toute la mer, toute la terre, avec la vue sur tout. Cette pièce de tout en haut tout comme celle des machines autant que ceux qui y vivent resteront un mystère pour nous, les passagers. Le temps de la traversée, les passagers se côtoient dans une grande salle où l’on peut s’asseoir. Ceux qui ne sont pas accaparés par l’écran de leur téléphone regardent la mer et parfois un bout de terre défiler par la fenêtre, ceux qui sont en groupe discutent, lisent ou se perdent dans leurs pensées. Le temps de la traversée, le ferry est comme une ile flottante, une annexe des îles, une dépendance de l’archipel.

Une fois débarqués, les routes de Yell ressemblent quand même beaucoup à celles de Mainland, des moutons, des pâturages avec clôtures, la mer. Pour commencer, se faire une idée un peu plus précise, faire connaissance avec ce que proposent les humains au-delà des paysages, suivre le petit panneau du Old Haa Museum and Tearoom, le musée historique de Yell. Bâtiment rénové, mais à la très longue histoire puisqu’il a débuté son existence comme maison de commerce en 1672, puis lieu d’échange pour la ligue marchande de la Hanse dont faisait également partie des villes comme Lübeck, Brême et Hambourg. Peu d’informations sur les marchandises échangées ici en ces temps-là, mais aujourd’hui, le musée propose un rayon souvenir bien garni, surtout du côté laine et tricots de toutes formes et de toutes couleurs. Peut-être que c’était déjà le cas à l’époque. Autre attrait du lieu, l’accueil en ce lieu idéal pour se mettre au chaud, au sec et à l’abri du vent, autour d’une traditionnelle tasse de thé ou d’un bon cappuccino. Côté musée, les objets exposés sont principalement en rapport avec la pêche à la baleine et au hareng. Déambuler dans les rues tout autour donne à croire que presque tous les bâtiments sont là pour rivaliser avec le musée : l’église épiscopale saint Coleman, comme le manoir construit un peu plus haut vers 1800 et qui, plus que les îles, évoque le sud de l’Angleterre par son architecture. Jusqu’à l’arrêt de bus, antique lui aussi, qui abrite une vénérable chaise de salle à manger avec son rembourrage quasiment intact et son dossier ajouré.

photo © Sylvie Strangejazzy

Suite de la visite de l’île par ses paysages, ses rivages, ses animaux. Yell serait la capitale britannique de la loutre, alors suivre la côte pour vérifier. Pour l’instant, l’endroit semble surtout peuplé de moutons, tant dans les champs que dans le ciel avec des éclaircies, mais une météo bien remplie de nuages, pâles pour certains, mais pour beaucoup, plus sombres et menaçants et les averses seront aussi de la balade. Ne retenir que les superbes lumières qui permettent d’immortaliser des poneys facétieux et amicaux, des cabines téléphoniques très britanniques, de superbes paysages, des plages de sable, des dunes, des bateaux abandonnés sur les plages, des phoques. Mais pas de loutres. Il doit falloir les chercher plus activement, entraîner son regard pour les distinguer parmi les algues qui imitent à merveille leur pelage. Et puis se promener, suivre la route qui va vers le nord jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de route et revenir par la même route, un peu, puis suivre l’autre côté de l’île quand la route se divise. Et voir encore des poneys facétieux et amicaux, des cabines téléphoniques très britanniques, de superbes paysages, des plages de sable, des dunes, des bateaux abandonnés sur les plages, des phoques, mais pas exactement les mêmes, parce que l’endroit est différent, la lumière est différente, les moutons ont bougé, le phoque a plongé, les nuages ont laissé place au bleu du ciel. Se dire qu’on pourrait rester là, longtemps, très longtemps sans jamais se lasser.

Et puis y aller quand même, revenir à Ulsta, au terminal du ferry pour rentrer sur Mainland. Reprendre le ferry, voyage différent lui aussi, voir la terre s’éloigner alors qu’à l’aller elle se rapprochait, noter un détail, un autre, un autre encore.

Une fois sur Mainland, se diriger vers le sud, mais pas trop vite, en faisant s’allonger la route. Après Voe, prendre vers Laxo, Dury, Laxfirth, Brettabister et ses moutons joueurs, puis retour sur la A970 à Catfirth pour revenir à Lerwick où la nuit ne sera pas de trop pour savourer à nouveau, en souvenirs, la balade du jour en attendant demain, et une autre balade et d’autres souvenirs qu’on se promettra, eux aussi, de ne jamais oublier.

Fin de mi-septembre 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine de beau temps. Très beau ces derniers jours, beau, chaud, trop chaud, espérer les nuages, rechercher un peu d’ombre, se rapprocher de l’eau, des ruisseaux, des chutes d’eau, juste pour le bruit de l’eau, un bruit qui rafraîchi même sans y mettre les pieds, sans y tremper la main, juste les éclaboussures à savourer des yeux sans demander rien de plus. Aller un peu plus haut, se balader là-haut quand tous les refuges ferment, se préparent pour l’hiver quand il fait encore beau, connaître la montagne, savoir vivre à son rythme, anticiper le froid qui peut vous bloquer là, tout au fond de la vallée pour qui oublierait les leçons du passé.
Bruit de l’eau. Mais toute eau ne fait pas de bruit, pas de bruit la rosée qui se dépose en silence, sans annonce, sans fanfare, elle vient donner aux plantes leur tonique du matin, leur beauté, leur brillant, leur pimpant. Un café transparent déposé sur les feuilles qui annonce le jour, saisissant les rayons d’un soleil maintenant bas pour faire briller tout ça. Le soleil du matin qui se lève maintenant à droite de la montagne tout au fond de la vallée. Ici pour la lumière, rien ne sera linéaire dans les heures de lever, de coucher, de passage de cache-cache à l’arrière des sommets, des pointes et dans les creux. Finis les temps d’été quand le soleil se lève bien avant les humains dans leur majorité.
Pour le bruit des oiseaux, il faut choisir l’endroit et rester à l’affut, se munir de patience. Ils se sont faits bien rares, fini les sérénades et les chants amoureux qui enchantaient le printemps. Ne restent que ceux qui restent par ici toute l’année. Les corbeaux se repèrent par leur vol tapageur autant que par leurs cris parmi les plus criards. Les pics de leur côté ne sont pas discrets non plus, seuls restent assez timides dans leur exubérance ceux qui viennent disputer aux humains qui veillent l’arbre, les dernières figues bien mûres, les merles et les fauvettes.
Les autres bruits sont rares quand un moment de calme nous épargne de la route le vacarme des autos, et surtout des motos. Alors on s’entend presque penser à ce qu’on fera des noix qu’on ramasse là en tentant d’éviter le fatal craquement d’une coquille sous le pied, bonne méthode néanmoins pour faire fuir l’écureuil gêné dans sa récolte qui se sauve en lançant son cri comme un claquement de câble qui se tend.
La nuit n’est pas plus calme quand les chouettes discutent, les hulottes si discrètes quand elles volent en spectres pales sont de véritables commères à l’heure de la veillée, leurs échanges éclipsent presque les bruits de pattes furtives de qui viennent se régaler des croutes de fromage laissées là pour le chat. Reste alors le ballet des fidèles chauves-souris qui ne font aucun bruit et qu’on ne remarque enfin que quand on lève les yeux lorsqu’il faut interrompre quelques fractions de seconde la lecture d’une histoire à l’heure fatidique de devoir tourner la page

Début de mi-septembre 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine toute en nuages. Nuages en pointillé ou bien nuages épais, nuages comme des nuages ou bien comme des moutons, puisque tout doucement, l’automne annonce la descente des alpages, et ici en particulier, le retour des moutons juste devant la maison pour quelques dernières étapes avant de rentrer pour de bon et de passer à l’étable la saison dite mauvaise. Avec les nuages viennent aussi les éclaircies, les pluies et le moins sec qui vous font mieux prévoir pour étendre les lessives, pour sortir en balade, aller aux champignons.
On retrouve des odeurs qui font défaut l’été, remplacées par tant d’autres et qu’on retrouve avec joie quand on se voit privés des doux parfums des fleurs et de l’odeur des foins ou du bois coupé frais. C’est l’odeur du mouillé si le sol est encore chaud quand tombent les premières gouttes, l’odeur des animaux, purin à ciel ouvert ou l’odeur dans la laine quand il faut agripper des deux mains la toison d’une récalcitrante pour la refaire repasser de l’autre côté de la clôture. Quand je dis plus de fleurs, c’est aller un peu vite, oublier toutes celles qui refleurissent coute que coute, vaille que vaille à chaque amputation, comme le serpolet qui sera bien meilleur en fleurs dans la tisane : il nous tire par le bout du nez quand un pied maladroit lui écrase les feuilles.
Au nez on trouve aussi les premiers champignons qui mettront tous nos sens en recherche de chapeaux, de plis, tubes et lamelles pour mettre dans l’omelette. Pour certains, dans le doute, préférer l’abstinence, se contenter du coup d’œil, ou d’une petite photo pour noter la couleur, le brillant ou la forme, mais sans se frotter au goût.
Pour les choses à manger, l’automne est généreux. Au-delà des champignons si on relève la tête, on tombe sur les fruits, les pommes et puis les poires qui font casser les branches et les dernières pêches pour les pots de confiture. Quand vient le temps des noix et autres fruits à coques, on trouvera dans les arbres davantage d’écureuils que de petits oiseaux, la concurrence est rude, on maudit la bestiole et ses oreilles poilues qu’on trouve si mignonne quand il ne sera plus temps de se pencher une fois de plus sur une coquille vide. Laisser la place à l’autre, lui laisser une part de ce qui n’est plus pour nous affaire de subsistance n’est pas toujours facile et ne va pas sans, j’avoue, quelques jurons grommelés que je ne répète pas.
Souvent ne reste des noix qu’une moitié intacte pour nous faire revenir aux années culottes courtes et mains jamais très propres et aux petits bateaux qui n’ont pas d’ailes, posés délicatement sur l’eau calme du lavoir qui s’en ira voguer en vraie coque de noix, avec un mat de branchette et une voile de feuille

Début septembre 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Pluie, éclaircies, petits nuages, gros nuages, orages, semaine équilibrée avec un peu de tout, un peu de frais aussi qui nous dit qu’on avance, tranquillement, vers la fin de l’été. Rien de soudain, de brusque ni d’éclatant comme quand vient le printemps, l’explosion des bourgeons, des couleurs et des fleurs qui font qu’on ne reconnait plus l’endroit familier d’un jour au jour suivant. L’automne est un glissement, un abandon tranquille, comme une résignation, mais sans rien de tragique, juste une évolution, des couleurs et des sons, et des odeurs aussi. En ce moment les fruits sont sur le devant de la scène. Grossir encore un peu, prendre du tour de taille, s’arrondir, faire du ventre pour mieux nous régaler quand le bras se tend vers eux avant même la suite, le croquant sous la dent, le clin d’œil aux papilles. Pour ceux qu’on a manqués, qui ont poussé trop haut, hors de notre portée, piqués par les oiseaux ou que les derniers insectes ont trouvés en premier, une douceâtre odeur de confiture trop mûre nous fait juste regretter de ne pas avoir, petits, mangé assez de soupe pour accéder aux fruits poussés là tout en haut.
Pour les couleurs pimpantes, maintenant que septembre est notre mois en cours, plutôt se fier au ciel qu’aux fleurs qu’il va falloir effacer de nos attentes pour les six mois qui viennent. Les proverbes locaux lient souvent volontiers un ciel rouge ou rosé à du temps dit mauvais. Et cette semaine a vu une belle alternance d’éclaircies et de pluies allant jusqu’à l’orage. De quoi donner raison aux proverbes d’où qu’ils viennent.
Quoique parfois abondantes, les quelques pluies récentes ne sont pas venues à bout de la sècheresse installée dans le petit lac du haut. L’été, plus une goutte d’eau, c’est comme ça tous les ans, mais l’avancée de l’automne se mesure par la suite avec le retour des reflets qui dédoublent les arbres installés sur la berge. Pour l’instant rien de tout ça, à peine quelques brins d’herbe du côté où le soleil ne montre jamais son nez, mais plus aucun brin de vie quand on pense aux têtards qui ont vu là le jour lors du dernier printemps. Alors, monter là-haut pour se dire qu’on y va juste pour faire la photo, une sorte d’état des lieux, une manière de suivi, de prendre des nouvelles et puis finalement ça prend bien plus de temps qu’une simple visite. S’asseoir sur un tronc pour écrire un petit texte et regarder autour pendant que les oiseaux reviennent moins méfiants et puis en espérant revoir le fier chamois qui a fait quelques pas sans forcer aucunement et tout droit dans la pente pour s’éloigner de moi au cours de la montée, mais s’est vite arrêté estimant finalement que je ne représentais pas vraiment un danger.
Alors en attendant que le lac se remplisse d’eau, monter là prendre l’air, avant de redescendre pour profiter du soir qui tombe un peu plus tôt et laisse plus de temps aux lectures du soir

Fin août 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Juste par demi-journées, pour nous habituer, le retour de la pluie, des nuages et du gris, du brouillard et du frais. Souvent ça vient le soir un peu façon orages, plein de rage dans le vent qui annonce le tonnerre, les éclairs et la pluie. Des vents soudains et forts qui font tomber les arbres, les brisent, leurs cassent des branches puisqu’ils sont déjà tous affaiblis par le sec, les insectes qui profitent en experts opportuns de leur lourde fatigue et se glissent sous l’écorce pour aller y écrire de sombres arrêts de mort dans une langue inconnue. Certains résistent encore, fantômes vides de sève, photos en noir et blanc, souvenirs de leur jeunesse, ils penchent, mais ne tombent pas.
Pour les arbres déjà morts, le retour de la pluie ne changera pas grand-chose, mais pour nos oreilles vides de tous les chants d’oiseaux occupés loin d’ici, le gazouillis des ruisseaux est une consolation, suivre les mouvements de l’eau, le voyage d’une feuille emportée par le flot, les ondes d’agacement quand le cours rectiligne est dévié par une pierre, un bout de bois, une racine ou la berge. Pour les oreilles encore le bruit de quelques insectes même si maintenant que les jours sont plus courts, on en voit un peu moins. Aucune libellule dans les sombres trous d’eau de la tourbière là-haut, signe de fin de la saison pour les vols gracieux des demoiselles à quatre ailes. Encore beaucoup de guêpes et de ces grosses mouches qui rentrent dans les maisons et ne savent plus sortir, se cognent contre les vitres et se rencognent encore sans jamais soupçonner que la transparence du verre peut cacher un obstacle.
Frénésie des insectes, descente des troupeaux qui petit à petit se rapprochent des étables où ils passeront l’hiver, c’est le temps des récoltes, des réserves pour l’hiver. Les écureuils s’activent du côté du noyer, les oiseaux dans le figuier se gavent de fruits violets, concurrence effrénée avec les humains qui pensent confiture ou bien juste le plaisir du fruit cueilli sur l’arbre et dévoré sur place. Automne saison des fruits, ce sera aussi la fin de la saison des fleurs, de la légèreté de l’été, des tissus juste voiles, cotonnades comme pétales, ou bien lin tissé fin. Journées plus courtes, mais aussi nuits plus longues, plus de chances de pouvoir admirer les étoiles, la pluie qui fait briller les gouttelettes accrochées à la courbe d’un brin d’herbe

Fin de mi-août 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

C’est la fin du trop chaud, retour au plus tranquille, à quelques gouttes de pluie, à des lumières plus douces qui nous laissent à nouveau ouvrir les yeux en grand. Voir revenir les nuages se poser sur les pentes, montagnes ennuagées, couvertes de moutons blancs qui font lire autrement l’autre côté de la vallée. Fond clair pour dessiner en sombre les arbres qui vivent là-haut, sur les crêtes des bosses posées du premier plan, d’habitude estompées par les arbres de derrière.
Un peu d’eau et de frais, encore un peu de vert et quelques fleurs éparses qui tentent leur chance quand même, indifférentes et fières parmi celles qui n’ont pas su résister au chaud et se laissent doucement attraper par l’automne et le jaune, annonciateur de brun, de rouille, d’humus, de terre. D’autres pensent au printemps, le prochain qui viendra et laissent tomber leurs feuilles pour bâtir des bourgeons. Une sorte d’aspiration au calme et au repos après la frénésie et les peines de l’été pour résister au sec. Certains arbres ont déjà abandonné le combat, pommes déjà tombées et noisettes à terre quand elles sont encore vertes, alors juste hâter les signes de l’automne pour ne pas compromettre les saisons à venir.
Du côté des lumières, les jours se font plus courts et les rayons de soleil se penchent pour aller voir jusque dans les maisons. Mesurer les saisons à l’avancée du jour sur les lames du parquet, un peu comme si l’été cherchait le meilleur endroit pour venir se reposer durant les mois d’hiver.
Du côté des insectes, les airs sont encore pleins de divers vrombissements, peut-être un peu plus tranquilles maintenant que les oiseaux s’occupent de tous les fruits qu’ils dévorent avidement nous laissant des figues creuses et des pommes trouées en échange de leurs vols silencieux et alertes.
Alors, se préparer à recouvrir de manches nos bras si longtemps nus et à voir le soleil dans le jaune des feuilles qui virevoltent puis se reposent au sol

Mi-août 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine de chaleur, de forte chaleur, de canicule. Le grand chaud excessif, tout comme son opposé, le grand froid excessif, nous pousse à l’intérieur, nous pousse à nous cacher, nous camoufler, nous soustraire au-dehors, à laisser seuls au loin ceux qui ne peuvent se mouvoir pour aller chercher l’ombre. Les arbres sont de ceux-là, plantés, comme toutes les plantes et qui ne peuvent quitter le lieu de leurs racines. Eux qui nous font de l’ombre ne peuvent en profiter que venant de leurs aînés, qui eux sont condamnés à rester tête nue sous le soleil de plomb. Pour certains cette épreuve a hâté la venue du jaunissement des feuilles. Beaucoup ont sur la tête, en fonction de leur espèce, de ce jaune lumineux qui rappelle le soleil, ce jaune juste au-dessus d’eux.
La moitié du mois d’août maintenant dépassée, on voit doucement venir la pensée de l’automne, comme une main posée sur la poignée de la porte, quelques feuilles déjà rousses nous disent que c’est bien ce qu’on croit, malgré la canicule, ou peut-être à cause d’elle, commencer à songer à la suite de l’histoire. Ne pas trancher ici dans cette immense querelle entre ceux qui préparent toute chose à l’avance, vivant dans le futur une partie du présent, ou ceux qui pensent quand même que c’était mieux hier et vivent dans le passé une partie de leur vie. Juste au sein du récit, placer quelques indices, des détails tout petits que l’on remarque à peine, mais qui aident à la fin à ne pas voir la fin comme un cheveu sur la soupe.
Ces premières feuilles jaunes, s’en réjouir ou pas, signes du temps qui passe, sagesse ou bien vieillesse, elles sont là, voilà tout. Les fruits, sur beaucoup d’arbres ne sont pas encore prêts à se laisser tomber dans nos pots de confiture, nos tartes, nos compotiers, on aimerait les voir prendre un peu plus de volume, de rondeur, de ce potelé joufflu qu’on prête aux nouveau-nés comme signe de belle santé. Flétris avant d’être mûrs, avant que les pépins, noyaux et autres graines n’aient pu se pomponner pour s’en aller germer dans une prochaine saison, c’est le lot de beaucoup en ces jours de trop chaud qui nous ont fait sauter tout un tas de chapitres, nous livrent la conclusion de la saison d’été sans qu’on ait eu le temps de savourer le style, l’écriture et la phrase avant le dénouement

Début de mi-août 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Chaud cette semaine, pas juste le chaud de l’été, mais le chaud du trop chaud. Alors, scruter le ciel pour y voir des nuages, revenir aux vieilles images de ce début de semaine alors qu’on n’était pas encore vraiment dans le trop bleu d’un ciel vraiment trop vide. Et y voir des nuages, leur voir une forme de vague, de déferlante, de houle, de vaguelette, de mouton. Prendre le temps de penser à cette couleur dite froide, à ce bleu tout là-haut qui aujourd’hui nous dit que la chaleur est là, tandis que ce même bleu, pour tous les mois d’hiver serait couleur de la glace ou couleur de nos doigts trop longtemps loin du feu. Alors en ce moment, penser au bleu de l’eau, le modéré de la mer dont la température est beaucoup moins encline à des sautes d’humeur, qui chauffe et refroidit, mais le fait tranquillement sans hérisser de pics nos courbes de suivi, sans affecter nos vies jusqu’à nous faire rêver, nous faire voir des mirages, des nuages dans le ciel alors qu’il n’y en a pas.
Aucun espoir de pluie du côté des nuées, alors baisser les yeux pour ne pas être éblouis et chercher un peu d’ombre, un peu de vent aussi. L’ombre de loin la plus douce reste bien celle des arbres, le couvert des forêts qui nous offrent leur sombre sans qu’on soit obligés d’une quelconque façon ni de les arroser ni de les bichonner comme nos plantes de jardin, juste les laisser faire, eux qui savent mieux que nous manier le froid, le chaud, l’eau et le manque d’eau tant que ça reste, quand même, de l’ordre du raisonnable.
De l’ombre on en aura aussi à l’abri des cailloux, des falaises, des rochers, des hauts et bas du sol à l’état naturel, exempt de nivelage, de nos idées de faire plat, obsession, fixation quand il s’agit d’enlever tout ce qui peut faire obstacle à nos lourdes mécaniques. À regarder les pierres avec plus d’attention au lieu de ne penser qu’à en faire du gravier, on trouverait des plantes, des bêtes, des paysages, des prototypes d’insectes encore plus fantastiques que ceux que l’on connait, on plongerait dans leurs mondes comme la mouche dans la fleur. Mais pour qui n’a pas de pierres pour y voir ces histoires, manque un peu d’habitude pour se laisser porter par l’imagination quand le temps est venu de juste faire la planche en attendant le frais, il reste tous les livres qui nous emmènent ailleurs, alors juste décaler nos horaires de travail et puis se concentrer, pour le milieu du jour un peu trop éloigné des périodes plus fraiches du matin et du soir, du coucher du soleil, juste ouvrir un livre et plonger dans les mots

Surface

Nuages ou les yeux dans les cieux, pour préciser qu’ici on parlera de nuages, de ce qu’ils nous envoient, de ce qu’ils nous renvoient. Aussi de temps en temps, un peu d’Alfred Stieglitz, au fil des découvertes, parce que ses photos m’ont poussée jusqu’aux mots à regarder là haut 
Photo © Régis Derimay

Surface. Vue d’ici ou de là, elle ne sera pas la même. La surface de l’eau vue de dessous la vague pourrait sûrement ressembler à l’image ci-dessus. La surface de notre air, de l’air que nous respirons, celui dans lequel on vit serait notre surface, les oiseaux, ses poissons ; les avions, ses surfeurs.
La surface nous indique le dedans, le dehors, le dessus, le dessous, le devant le derrière. Ou bien tout le contraire suivant là d’où l’on voit.
Surface en interface, contact entre deux mondes, celui de l’eau et de l’huile ou de l’eau et de l’air, de l’eau et de l’écume, de l’air et des nuages. Une surface toute en courbes, toute en ondulations, en bourgeons sur les branches juste avant le printemps, en cime de forêt regardée de dessus sans le détail des feuilles, en douceur arrondies comme on passerait la main sur les hautes herbes jaunes à la fin de l’été.
Surfaces en bulles, ébullition, frémissement, le levain dans son pot avant de faire le pain, les pommes dans leur cageot, fermentations diverses, champignons bien serrés par les automnes chanceux, les nuages nous emmènent, essaim de montgolfières, dans des mondes lointains ou très proches ou fictifs, des mondes imaginaires que l’on ne peut atteindre qu’en tirant sur le fil de la réalité jusqu’à le rendre si fin qu’on ne le verra plus. Parfois c’est la technique et surtout son histoire qui nous donne un coup de main pour savoir qui est qui du réel ou de ce qui n’en serait pas vraiment. La photo sous-marine était certes inventée au temps d’Alfred Stieglitz, mais elle restait encore des plus confidentielles. Donc pour ces photos-là, notre imagination peut se contenter de l’air sans ajouter de l’eau à ses pensées possibles. Si dans les deux séries, Songs ou Equivalents était une telle photo, ce serait celle d’une vague vue depuis le dessus et non vue depuis l’eau. Ou une photo de nuages. Qui sait ? D’ailleurs, qui veut savoir ?
Une surface est toujours un endroit de contact entre milieux différents. Au lieu de faire la planche à la surface des choses, aller voir juste au bord, aller voir jusqu’au bord, jusqu’à former une bulle qui ira voir là-bas, découvrir autre chose, prendre le risque d’autrui, connaître un autre monde pour enrichir le sien comme on met dans ses mots, les mots de quelqu’un d’autre, comme des petites herbes dans nos vertes salades