Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors
Une semaine tranquille en pente douce vers l’hiver. Bientôt les arbres seront nus, certains résistent encore, entre autres les pruniers, parmi les premiers arbres à fleurir au printemps et parmi les derniers à voir tomber leurs feuilles lorsqu’on est en automne. Peut-être un arbre limite pour la vie par ici mais qui profite du fait qu’il ne vit pas très haut et regarde d’en bas les sommets tout autour. Trop précoce au printemps et on risque le gel, trop tardif en automne et les premières neiges tombent lourdes et pleines d’eau sur l’arbre encore feuillu augmentant de beaucoup le poids à supporter par les fragiles branches qui risquent de casser, voire dans les cas extrêmes d’emmener l’arbre entier. Aussi parmi les arbres qui hésitent et retardent l’heure de se dévêtir, retrouver les bouleaux, la pâleur de leur tronc, le jaune clair de leurs feuilles en ce mois de novembre, et les histoires du nord que nous racontent leur bois dont on fait les tambours des chamanes samis. Y tailler des objets, se servir de l’écorce pour allumer le feu, isoler les maisons, un arbre qui va savoir s’adapter presque à tout dans les terres scandinaves, à l’acide du sol comme au froid ou au vent et puis aussi au nord, à ses lumières rares autant qu’exubérantes en fonction de la saison. Sur le blanc de l’écorce, certains voient les visages des sages disparus, ou liront des histoires comme sur les pages d’un livre. Lire ce serait plutôt pour cette fin de semaine quand les fenêtres séparent le sec de l’intérieur de la pluie du dehors. Au début de la semaine, encore un peu de temps pour profiter du chaud presque un peu déroutant apporté par le foehn qui sèche les dernières feuilles, les fait tomber aussi. Elles sont maintenant si rares, qu’on pourrait les compter, alors qu’en plein été, compter les feuilles des arbres est vraiment une idée que l’on aurait jamais, on parlerait d’infini, à tort évidemment, confondant infini et temps beaucoup trop long pour qu’on se lance dans l’affaire sans être vite lassés, ennuyés, écœurés par l’ampleur de la tâche. On s’en irait plutôt méditer bien à l’ombre et adossé au tronc, sur les vrais infinis, vertigineux objets qui font le plus grand bonheur des mathématiciennes et mathématiciens. Lire ou juste regarder à travers la fenêtre les nuages revenir, défiler dans le vent, s’amonceler, se faire blancs ou sortir le grand jeu lors d’un coucher de soleil en champ de coquelicots, se dire que sans les feuilles, on voit mieux les oiseaux, remettre la mangeoire, voir revenir les mésanges se percher sur la rambarde pour attendre leur tour de graines de tournesol. Replonger dans son livre et se dire que finalement, les lettres noires d’une page blanche pourraient se faire perchoir pour le jaune des mésanges autant que les branches sombres sur fond de nuages clairs
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Une semaine de temps sec, bien souvent de temps beau. Alors chez les fleurettes on tire sur la ficelle. Enfin de la bourrache au milieu du jardin, elle profite sûrement de la place laissée libre par les autres plus frileuses. Ses tiges et ses boutons recouverts de poils drus, des poils adolescents encore bien espacés, mais déjà presque blancs dans le soleil du matin. Bientôt au bout de chaque tige s’ouvrira en très grand un sourire de baleine pour laisser venir au jour une fleur aux coins pointus entre violet et bleu. En y regardant bien on trouvera encore une tache de couleur dans le tout vert de l’herbe toujours fauchée, broutée et anonymisée par un été entier à se faire couper courte, alors on apprécie le pissenlit, le trèfle, ou les fragiles clochettes des douces campanules. Mais leurs jours sont comptés maintenant que les brebis se rapprochent de l’étable pour profiter encore des derniers déjeuners qu’elles prendront là sur l’herbe avant le long hiver entre leurs quatre murs à manger du foin sec et de l’eau du robinet. Les brebis dans leur champ profitent également des rayons du soleil et de leur lumière douce qui se cache derrière les arbres, dessinent avec leurs ombres toute une forêt couchée qui se déplace dans l’herbe avec les heures du jour pour nous dire toute l’histoire des arbres devenus géants, eux qui ne sont en été que de maigres ovales attachés à leur pied, et qui restent chétifs sous les lumières dures. Théâtre d’ombre des arbres, les goliaths de l’hiver qui dessinent de leurs branches en fins traits de crayon, une fois les feuilles tombées, des contes fantastiques pour qui saura les lire. Pour les contes fantastiques, les nuits se prennent au jeu et font durer le sombre. L’écran noir où projeter toutes les histoires qu’on veut a prévu la veilleuse, cette semaine quand même, avec la pleine lune qui permet les balades, même à la nuit tombée. Voir le monde autrement, le voir avec les pieds, les oreilles et le nez, éviter la lumière et se sentir un peu une bête parmi les bêtes, avec des armes égales et des peurs qui se rejoignent. Promenons-nous dans les bois maintenant rendus au calme, marcher sans lever les pieds pour faire chanter, froisser et murmurer, l’épais tapis de feuilles mortes qui s’épaissit encore jusqu’à monter aux chevilles dans les creux protégés. Parfois s’arrêter net quand en travers du chemin scintille dans la lumière le fil d’une araignée qui voit sa toile en grand, regarder les feuilles tomber, voleter, flotter et remplacer, un peu, le vol des papillons, les belles couleurs en moins. À défaut de papillons, ramasser quelques feuilles, les glisser dans le carnet qui sert à prendre des notes, en faire des feuilles volantes qui se passent d’écriture pour dire toutes les couleurs, les formes et les histoires des arbres qui sont ceux qui racontent le mieux
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Semaine en dents de scie entre le beau et l’eau, plutôt de crête en combe, puisqu’on est en montagne, mais plus précisément entre soleil et pluie avec un peu de tout ce qu’on peut mettre entre deux, de nuages, de brouillard, de brume et puis de gris, aussi des éclaircies, des moments de grand mélange avec pluie et soleil qui se marchent sur les pieds. Des matins lumineux, des après-midi sombres ou des journées entières comme sous un couvercle alors que le lendemain sera si rayonnant qu’on ne pourra regarder n’importe où sans cligner. Comme je me sens un peu plante, la lumière est pour moi quelque chose d’important. Depuis le changement d’heure, on profite bien mieux du lever de soleil, mais la nuit tombe plus vite, elle tombe tellement vite que se pose la question, en regardant les arbres et tous les végétaux, de nos horaires d’êtres humains, de nos activités, les mêmes toute l’année quelle que soit la durée du jour dans nos journées. Parfois il m’arrive même de me mettre à rêver d’une longue retraite d’hiver. Du côté animaux, le défi de l’automne est celui de la couleur, se cacher dans les feuilles qui passent du jaune au rouge en route vers le rouille, le marron puis le sombre odorant de l’humus. Chapeau bas cette semaine pour une petite chenille, colorée, décorée de longues soies et d’excroissances, d’un beau toupet rouge vif pour mieux faire ressortir ses teintes qui partent du jaune pour aller jusqu’au vert avant de revenir à la couleur soleil. Une chenille éclatante que cette Pudibonde (Calliteara pudibunda) qui donnera naissance à un papillon de nuit, terne, gris et tout velu, camouflage de rigueur. Formes, couleurs et textures sont aussi étonnantes dans le monde des champignons. Grandes oreilles translucides ou filaments oranges ne m’inspirent pas du tout à l’heure de l’omelette, pour ce qui est de manger je m’en tiens à très peu, le très peu que je connais. Mais dans le panier cette fois quelques jolies trompettes, de la mort ou des morts, sombres tubes à la tête en gueule de tromblon, au nom peu rassurant, elles font quand même partie de mes petites préférées. Aller aux champignons c’est se promener en forêt d’une façon différente. Le dos un peu courbé pour rapprocher les yeux du sol où se trouveront, bien cachées sous les feuilles, les merveilles convoitées, le nez ouvert aussi qui sera parfois une aide pour les localiser et enfin la vitesse qu’il faudra oublier tout comme le sentier, une errance sans hâte et remplie d’attention pour la vie sur la terre. Chercher des champignons ou bien chercher des mots, restent bien dans mon cas des pratiques parallèles qui se nourrissent l’une l’autre, une manière de passage dans ce monde-là tout autour, même si pour les mots une fois la récolte faite, le chemin reste bien long avant de déguster le livre assaisonné, cuit assez, mais pas trop et puis bien présenté dans une jolie assiette
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Pour cette avant-dernière semaine du mois d’octobre, grand retour de la pluie, de l’humide, du froid, du soleil bien caché, des nuages, du brouillard, de la visibilité lointaine qui se réduit au proche. L’automne tâtonne encore, lui qui hésite longtemps, passant d’une patte sur l’autre entre été et hiver. Cette semaine c’est l’hiver qui pointe le bout de sa neige sur les sommets d’en face. Dans le fond de la vallée, et dans le bas des versants c’est la pluie qui s’installe pour abreuver enfin une terre bien trop sèche. Les gouttes pendent aux branches comme une goutte au nez, grand retour du clinquant, du brillant des reflets, du pouvoir de l’humide capable de faire entrer tout le ciel et ses nuages dans une simple gouttelette. Dans la forêt d’en face, le souffle du grand vent a fait tomber trop vite, les feuilles aux belles couleurs, parfois une branche résiste pour jouer du contraste, des dernières étincelles, pour mettre du jaune dans le sombre de ce sous-bois de troncs, résineux en premier, sapins, épicéas qui nous plongent dans un lieu où le pas est léger comme la lumière est lourde de sa parcimonie. À terre juste des aiguilles, pas de tapis de feuilles où le pied trace son sillon avec un bruit plus sourd et moins carillonnant que la semaine dernière au temps de l’encore sec. Du côté animaux, les rencontres s’espacent. Finis les vols d’insectes et les dernières guêpes, solitaires, égarées de ce côté obscur des carreaux de nos fenêtres voient plus comme une sentence, comme une condamnation que comme une délivrance qu’on les rende à l’air libre. Fini aussi le soir ou bien au petit matin les vols si réguliers des petites chauves-souris qui se sont réfugiées pour les mois froids qui viennent dans le pas jointif du tout des planches du bardage. Du côté des oiseaux, on se dit que maintenant que les feuilles disparaissent, on va enfin mieux voir qui se perche sur les branches, mais beaucoup sont partis chercher le chaud au sud, chassés par l’air plus frais, des envies de voyage, poussée de migration. Pour ceux qui ne volent pas et vivent dans les bois, l’automne est fait d’angoisses, de la peur du chasseur. Alors, se réjouir quand le sabot insouciant laisse une marque bien visible dans la boue d’une flaque : il aura survécu au moins jusqu’à maintenant. Du côté des humains, qui laissent aussi des traces dans la boue fraiche des flaques, la pluie est peu propice aux longues balades tranquilles, pourtant c’est par ces temps pas toujours agréables que sont les belles rencontres et les belles émotions de solitude paisible, même sur les sentiers balisés pour l’été et les promeneurs en shorts. Dans cette solitude, écouter sur l’abri éphémère d’une grosse veste teinter les gouttes de pluie, se faire perméable aux souffles pour pouvoir attraper les idées qui flottent entre deux eaux autant qu’entre deux airs et vont si bien aux mots dont je les habillerai une fois rentrée au sec
OLOÉ, une belle invention de l'autrice Anne Savelli, le petit nom qu'elle donne aux espaces élastiques Où Lire Où Écrire. Elle explique ça ici bien mieux que je ne le ferais. Et chez les Enlivreurs, dans cette catégorie, longue liste en construction de quelques OLOÉs qui me font écrire ailleurs
C’est un OLOÉ vert dès la fin du printemps et pendant tous l’été, de feuilles mortes en automne. Un OLOÉ absent tout le gros de l’hiver. OLOÉ de temps qu’il fait. Aussi de temps qui passe. C’est un OLOÉ simple. Une planche, deux belles bûches bien dodues et quatre longues vis, quelques cales pour faire plat sur le bord du chemin ou l’aplati est rare. C’est un OLOÉ neuf que je laisse volontiers à sa destinataire, presque sa propriétaire. Un banc fait par un gendre pour sa belle-mère âgée qui se déplace courbée à vous faire mal au dos, à vous qui la regardez, un dos chargé d’années et de travaux trop bas, de choses lourdes à porter dans la tête comme dans le corps, qui laissent toujours des traces. Elle résiste au roulis appuyée droite et gauche sur deux bâtons de ski. Mais malgré les années, la promenade, c’est sacré, alors avec les bancs, celui-là et un autre, posé un peu plus haut, la promenade continue, pas à pas, pied à pied. Depuis qu’il y a le banc, d’autres l’ont adopté, et ce banc maintenant fait partie de nos vies. C’est presque un sacrilège quand un promeneur impie se gare juste devant gâchant pleinement la vue sur les grands arbres en face. C’est l’OLOÉ parfait pour le milieu du matin quand le soleil chauffe le dos et garde la tête à l’ombre. Pas de dossier, pas de coussin, pas de courant pour charger le téléphone portable, et aucun éclairage, ni public ni privé pour le tard ou le tôt qu’on laisse donc sans regret aux oiseaux de la nuit. Un lieu de textes courts pour les pages pas trop longues qui tiennent sur une feuille d’arbre, un poème, une chronique, un article de blog, exercice d’atelier, une idée trop pressée de revêtir ses mots. Un lieu pas adapté pour un roman potelé plein de rebondissements qui a besoin de brouillons, de documentation, de longue concentration. C’est un OLOÉ social où je suis rarement seule. Parfois passe une voiture, quelqu’un avec un chien, une promeneuse, un promeneur, le berger, une voisine, un voisin. Parfois on parle un peu, on commence par le temps, c’est toujours bien le temps pour commencer à dire. Quelques banalités et puis on dit au revoir et je reviens bien vite aux moutons de mes mots. Ça c’est pour les humains, mais même sans humains je n’y suis jamais seule. Un oiseau, un bruit d’eau, un insecte, un écureuil parfois, une salamandre peut-être, les jours d’après la pluie quand avant de commencer il faut essuyer le banc. Et ne pas oublier d’entendre ce que disent les arbres. Un peu de vent dans les feuilles la neige qui tombe d’une branche, une châtaigne ou un gland, un dialogue de feuilles, un merle qui grattouille ou un pic noir qui cogne. Ici toujours quelqu’un pour souffler une idée, alors je les laisse souffler et je déploie sur leur route mon grand filet à souffles
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Peut-être un peu plus frais, mais le temps pour cette semaine est resté dans l’ensemble très proche de celui de la semaine précédente, beau, avec quelques nuages, pas de précipitations. Une semaine d’automne aux couleurs de l’automne, couleurs emblématiques, couleurs de cartes postales, des couleurs de feuilles mortes, presque des caricatures. Chaque arbre va s’habiller d’une façon différente suivant ses habitudes et l’endroit où il vit et ce qu’il a vécu. Une sorte d’arc-en-ciel qui aurait oublié toutes les couleurs froides, toutes celles situées dans le vert et au-delà pour ne garder que les chaudes et préparer l’hiver. Cette semaine était juste le moment de bascule entre le temps où les feuilles changent doucement de couleur, se dépouillent de leur vert, de leur rôle nourricier chargé de chlorophylle pour ne garder des arbres que les branches, que les troncs, en somme que les grandes lignes, la structure et la forme. Comme un dessin d’enfant, des traits au feutre marron plus épais vers le bas qui deviendra le tronc et puis les grosses branches, plus fin pour les suivantes et puis tirer la langue pour les dernières branchettes qui doivent être toutes fines, surtout ne pas appuyer le feutre sur la feuille. Ensuite pour les feuilles, en été c’est tout simple, un gros nuage vert, tout potelé et dodu que l’on peut colorier sans crainte de dépasser parce que les feuilles elles-mêmes dessinent des petits traits en dehors du nuage. En hiver pas de feuilles, mais pour ce qui est de l’automne, c’est un mélange des deux, un nuage jaune-orange, mais un peu déplumé, pas facile du tout. De plus en plus de feuilles se retrouvent au sol, elles tombent en virevoltant, en dansant, en flânant, indécises, hésitantes sur le chemin à suivre, elles explorent les airs avant de se poser à côté de toutes celles tombées là avant elles. Le sec de cette semaine les a gardées bien sèches, marcher sur les sentiers et parfois sur les routes (les routes peu fréquentées) joue une petite musique entre papier froissé et sablés écrasés avant que les feuilles mortes piétinées ne soient réduites en morceaux de plus en plus petits, jusqu’à n’être plus morceaux, mais seulement poussière qui s’en ira bien loin dès la prochaine pluie. Avec les prochaines pluies s’en iront loin aussi les dernières feuilles des arbres et leurs couleurs d’automne, elles resteront encore un moment sur le sol pour qui baissera les yeux, elles donneront de faux espoirs à ceux qui cherchent là quelques petits champignons, trompés par leurs couleurs, mais pour les têtes en l’air, les branches seront nues jusqu’au prochain printemps. Branches des arbres vivants, nues comme sont nues les branches des arbres morts sur pied. En hiver chez les arbres dont les feuilles sont caduques, la vie est intérieure comme l’est chez les humains la vie qui reste au chaud et à l’abri de la pluie quand les écharpes ressortent les livres à vivre bien au chaud.
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Semaine de beau temps, avec quelques nuages : alternance hasardeuse, sans régularité de passages nuageux, épais ou diaphanes et de belles éclaircies, voire de journées toutes bleues. Une semaine de pas de pluie, une semaine de de pas d’eau une fois la rosée bue par les plantes avides et le chaud des journées. Sur les arbres tout autour, les feuilles prennent doucement les couleurs de l’automne. Ou les couleurs du sec. Question dont la réponse ne changera pas grand-chose à la couleur des feuilles, mais les rouilles et les feux et les fauves, comme les rouges et les jaunes sont maintenant sur les arbres, qu’ils viennent du temps qui passe ou bien du temps qu’il fait. Sur les feuilles, le vert laisse doucement la place, poussé loin par les ocres et les bruns et les terres. Parfois on voit les verts se regrouper d’abord le long des grosses nervures pour ensuite s’en aller, s’éloigner de la feuille vers l’ailleurs où on ne le verra plus, le vert qui reste caché tout l’hiver sous l’écorce, une fois préparés les bourgeons déjà là pour les printemps prochains. Certaines n’attendent pas, elles ne préparent rien et profitent de tout ce qui n’est pas encore le gel, orties ou pieds de menthe ne se préoccupent pas de nos calendriers, de lents préparatifs qui se font chez les arbres, elles poussent et font des feuilles toutes jeunes et duveteuses tant qu’elles peuvent le faire. Plantes de carpe diem, vivaces ou annuelles, à rhizomes, ou à graines, chacune sa stratégie, chacune de son côté, elles poussent et laissent pousser pour renaître au printemps ou juste se réveiller, quelle que soit la méthode pourvu qu’on ait le vert. L’automne vient se poser de façons différentes suivant les espèces d’arbres, suivant l’humidité, la lumière et l’endroit, poussé de-ci de-là par toutes les autres vies qui habitent la forêt. Insectes, champignons, maladies, ou juste un vieux bobo un soir de trop de vent, sur chaque feuille on peut lire une histoire différente. Petits points ou bien plaques, déchirures ou couleurs qui se diffusent lentement sans uniformité, accident de croissance ou accident tout court, feuilles tachetées, ocellées, feuilles d’arbres léopards. À lire ainsi chaque feuille on découvre doucement tout un monde écrit là, une histoire d’arbre monde à lire en feuille à feuille.
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Semaine de beau temps, pas de pluie, quelques nuages, averses parfois le soir, mais du globalement beau. Et frais. L’automne continue à s’installer doucement. Les feuilles des arbres changent de couleur, de texture, elles commencent à tomber. Les arbres se déshabillent et les humains se couvrent, ressortant pulls, bonnets, lourdes vestes et capuches. Les grosses chaussures ici, on ne les quitte jamais, elles sont indispensables pour aller dans les pentes, les pierres, les épines. Le matin la rosée reste longtemps sur les feuilles, sur les derniers pétales des dernières fleurs, à peine des gouttelettes, presque une poudre d’eau qui fait ressortir leurs joues. Les feuilles des végétaux accueillent chacune l’eau d’une façon différente. Souvent même ça changera d’un côté de la feuille et de l’autre côté : l’eau s’étale, elle laisse un film lisse sur le dessus sinueux de la feuille de chêne, mais bourgeonne au-dessous fait pour rester au sec. L’automne est cette saison juste entre le trop chaud et puis le bien trop froid, saison où on rencontre bon nombre de batraciens, de grenouilles en crapauds. Aux endroits favorables, retrouvailles régulières avec les salamandres dont la peau délicate ne leur permet des promenades que dans les deux saisons qui évitent les extrêmes. Elles sortent avec prudence, évitent les jours sans eau encore assez nombreux pour laisser bien au sec le petit lac du haut. Le froid qu’on sent venir avec la neige là-haut nous ramène avec lui une sorte de fatigue, un besoin de repos, vulnérabilité aux toux et aux éternuements, aux maux de-ci, de-là et autres nez qui coulent. Lutter de plus en plus tôt et de plus en plus tard contre le sombre des jours, que ce soit matin ou soir semble contre nature quand on voit tout autour les plantes, les animaux, se préparer doucement pour le repos d’hiver. Restent quelques insectes pour une dernière tournée, comme ces chanceuses abeilles à qui on a laissé de dodues fleurs de lierre qui tournent et vont viennent comme on se régalerait d’un recueil de poèmes
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Semaine froide et humide. Comme un avertissement, mise en garde ou rappel. Remettre dans nos idées, malgré le beau, le trop chaud de la semaine dernière que l’automne est en route et que du mois de septembre il ne reste plus grand-chose. Équinoxe le 25, la nuit égale au jour, pas seulement une histoire de ligne imaginaire, mais un réel changement dans la vie de toutes les plantes qui vivent de lumière. Changement pour nous aussi maintenant que le soleil ne se lève plus du tout au fond de la vallée, mais seulement une fois passée la première pointe des montagnes d’en face. Pour certains, sur l’ubac, débute la période où ils vivront dans l’ombre et le froid et l’humide qui vont avec cette ombre en attendant le printemps et le voyage retour du soleil et du clair. Se préparer alors à se remmitoufler, à se couvrir de chaud, de pulls, de bonnets et de moufles pour les mains et de livres pour la tête quand les nuages nous disent de revenir au rêve, à l’imagination mêlée aux souvenirs parce que les yeux, la vue, ne sont d’aucun secours les jours de grands brouillards. De brumes et de brouillards, la semaine fut remplie. Et puis de pluies aussi. Des pluies de toutes sortes, des pluies fines et tenaces, gouttelettes à peine visibles, des gouttelettes en brouillard, silencieuses et furtives qui ressemblent davantage à une poudre qu’à des gouttes. Aussi au fil des pluies, des gouttes un peu plus grosses, qui tombent un peu plus vite, se moquent mieux du vent et jouent sur les capuches une chanson sans refrain qui s’égare dans ses rythmes. Parfois les pluies enragent de tombent de très grosses gouttes allant jusqu’aux grêlons qui battent sur les tôles de nos abris d’humains qu’on se prend même parfois à trouver dérisoires face aux violences du temps. Mais septembre n’est pas mort, l’automne n’est pas l’hiver et rien n’est linéaire quand on parle du dehors, les saisons se chamaillent toujours un bon moment avant que ne s’efface celle qui était avant pour laisser toute la place à celle qui vient après. Alors s’émerveiller des premières salamandres et des dernières sauterelles, plus lentes et moins agiles qu’elles ne l’étaient l’été, mais qui sont encore là pour faire la transition, tout comme les feuilles des arbres chez qui le changement de couleur est bien loin de l’unisson. Alors se réjouir de ces hésitations, de ces oscillations d’une saison à une autre, alternances propices aux discrets champignons qui pointent leurs chapeaux, leurs lamelles, plis et tubes pour qui aime observer et accepte d’errer à côté des sentiers avec toujours en tête la possibilité de revenir panier vide. Balade dans la forêt avec une bonne excuse, pour se laisser porter par une douce flânerie au grès des intuitions, des souvenirs de poêlées, des envies du moment. Un peu comme quand on lit se permettre de quitter une ligne trop rectiligne, mettre un livre de côté pour en ouvrir un autre, picorer ci ou là suivant ce qui fait envie pour profiter au mieux de ce qui est écrit, des délices des mots déposés dans la poêle avec une pointe de beurre histoire de fêter les goûteuses découvertes
Aujourd’hui, balade dans une autre île de l’archipel, une des autres îles de l’archipel. Les Shetland sont un archipel d’une centaine d’îles. Environ. Être ou ne pas être une île dépend de la hauteur d’eau qui elle-même varie avec la marée. Deux petites buttes sur une île à marée basse pourront faire deux îles à marée haute ou une seule si l’une est plus haute que l’autre ou plus aucune île si elles sont trop basses ou que c’est une grande marée. Et inversement. D’où l’incertitude sur le nombre d’îles de l’archipel, singularité de la nature sans aucun lien avec la qualité du travail géographique. Approximation de raison.
Un archipel, c’est plusieurs îles, mais avec quelque chose d’un groupe, quelque chose de commun. Ici, leur proximité géographique, une histoire, une culture, la vue qui permet de passer de l’une à l’autre presque aussi sûrement qu’avec le ferry. Un voisinage. J’omets les jours de brumes, où la vue ne suffit plus pour voir les îles voisines. Les jours de brume, les Shetland restent un archipel, et la disparition des autres îles, celles qui sont au-delà de celle qui porte nos pieds, n’indique pas obligatoirement qu’une île se détacherait, seule, pour aller voir plus loin sur le vaste océan en emportant au loin ses quelques habitants. Cette dernière idée ne serait rien d’autre qu’une idée de fiction sans aucune base sérieuse, évidemment.
Yell a une forme compacte, presque rectangulaire quand on regarde la carte ou la photo satellite de loin. Elle est située au Nord-est de l’archipel et forme l’ensemble des îles du nord avec ses deux plus grandes voisines, Unst et Fetlar, situées au « carrefour de la mer du Nord », à peu près à la même distance de l’Écosse, de la Norvège et des îles Féroé. Une population d’environ 900 habitants pour une longueur de 31 km et une largeur maximale d’une peu plus de 12 km. Yell est habitée depuis le néolithique. Sur la carte, la forme de l’île peut faire penser à un dragon tête repliée sur la poitrine qui pousserait Unst du front pour mieux voir la Norvège et soufflerait des flammes qui formeraient Fetlar. On pourrait aussi y voir plein d’autres choses, mais les dragons ne sont pas à rejeter d’un revers de la main comme simples fantaisies, surtout dans cet endroit du monde posé entre deux mondes tout autant friands de légendes l’un que l’autre, les Vikings et l’Écosse. Peut-être un effet des nombreux jours de brume qui couvrent l’archipel, une façon d’isolement, se retrouver entre soi, avec soi, situations propices à laisser se développer l’imagination, une vision fantastique du monde autour de soi qui permette d’apprivoiser la forme particulière de la vie dans les îles loin au nord.
Les pierres de l’île racontent cette vie dure face à des éléments qui peuvent être d’une grande violence. Formée à l’aire glaciaire et située sur la faille calédonienne qui correspond au canal calédonien en Écosse « continentale », Yell est constituée d’un socle de roches, principalement du schiste et recouverte d’une épaisse couche de tourbe d’un mètre cinquante en moyenne exploitée pour le chauffage. L’île est plutôt sableuse à l’est tandis qu’à l’ouest on trouve plus de roches et des falaises abruptes.
Quant au nom de Yell, plusieurs origines sont possibles. Le nom Yell, mentionné dans les années 1300 sous le nom de Iala, pourrait être d’origine brittonique, dérivé de iala, signifiant « terre stérile ». Le protonorrois était Jala ou Jela, ce qui signifiait peut-être « île blanche », en référence aux plages. Le vieux norrois était Gjall, signifiant « aride ». En 1586 est mentionné le nom de « Yella ». Au début de l’époque moderne, il s’écrivait « Zell », une transcription erronée de « Ȝell », dérivé de la lettre initiale yogh, disparue depuis de l’alphabet britannique et dont la graphie était proche du chiffre arabe 3 toujours utilisé de nos jours et de la lettre cyrillique « Ze », З. Shetland vient de « Hjaltland », et le « Ȝ » symbolisait le son initial dans l’ancienne prononciation. Ceci rend plausible une autre explication possible, liée aux mots nordiques « hjalli » ou « hjallr », qui désignent une terrasse à flanc de montagne ou une corniche, un échafaudage, de même que ceux utilisés pour sécher le poisson. « Hjell » est l’orthographe et la prononciation actuelles en norvégien, et « hjallar » est la forme possessive singulière ou nominative plurielle en vieux norrois. (Source, Wikipedia, Yell).
Pour arriver à Yell depuis Mainland, il faut prendre le ferry. Depuis Lerwick et l’appartement qui sert de camp de base, prendre la route du nord, la grande route, la A970. Penser à faire le plein de la voiture, car les stations-service ne sont pas très nombreuses. De plus la météo du jour n’est pas particulièrement engageante, nuages et pluie fine, rien qui motive plus que ça à marcher longtemps au bord de la route, un bidon à la main. Catfirth, Hillside, puis la A968. Le temps est toujours nuageux, mais la pluie a cessé. Mossbank vers 10:00, puis Toft et le terminal des ferries pour Yell. Sur la côte opposée, le terminal pétrolier de Sullom Voe. Ne pas se tromper de terminal. La liaison entre Toft et Ulsta annonce un ferry environ toutes les demi-heures, c’est dire l’importance des liaisons maritimes entre les îles de l’archipel, une façon supplémentaire de faire groupe pour ces îles. Arrivé au terminal, la terre se rétrécit, un fin passage mène jusqu’au gros nez bleu du bateau qui se retrousse pour laisser embarquer les voitures. Le temps de la traversée, le ferry se transforme en un petit monde à part, une bulle, une parenthèse, un chapitre, presque un livre, une petite nouvelle dont le nombre de pages serait intimement lié au temps de la traversée. Personnages qu’on devine ou qu’on entrevoit quelques instants seulement, qui font marcher le bateau, l’entretiennent l’amarrent, ils sont en bas, aux machines ou dans la pièce du haut, la timonerie, cabine de pilotage, cette pièce toute vitrée avec vue tout autour sur toute la mer, toute la terre, avec la vue sur tout. Cette pièce de tout en haut tout comme celle des machines autant que ceux qui y vivent resteront un mystère pour nous, les passagers. Le temps de la traversée, les passagers se côtoient dans une grande salle où l’on peut s’asseoir. Ceux qui ne sont pas accaparés par l’écran de leur téléphone regardent la mer et parfois un bout de terre défiler par la fenêtre, ceux qui sont en groupe discutent, lisent ou se perdent dans leurs pensées. Le temps de la traversée, le ferry est comme une ile flottante, une annexe des îles, une dépendance de l’archipel.
Une fois débarqués, les routes de Yell ressemblent quand même beaucoup à celles de Mainland, des moutons, des pâturages avec clôtures, la mer. Pour commencer, se faire une idée un peu plus précise, faire connaissance avec ce que proposent les humains au-delà des paysages, suivre le petit panneau du Old Haa Museum and Tearoom, le musée historique de Yell. Bâtiment rénové, mais à la très longue histoire puisqu’il a débuté son existence comme maison de commerce en 1672, puis lieu d’échange pour la ligue marchande de la Hanse dont faisait également partie des villes comme Lübeck, Brême et Hambourg. Peu d’informations sur les marchandises échangées ici en ces temps-là, mais aujourd’hui, le musée propose un rayon souvenir bien garni, surtout du côté laine et tricots de toutes formes et de toutes couleurs. Peut-être que c’était déjà le cas à l’époque. Autre attrait du lieu, l’accueil en ce lieu idéal pour se mettre au chaud, au sec et à l’abri du vent, autour d’une traditionnelle tasse de thé ou d’un bon cappuccino. Côté musée, les objets exposés sont principalement en rapport avec la pêche à la baleine et au hareng. Déambuler dans les rues tout autour donne à croire que presque tous les bâtiments sont là pour rivaliser avec le musée : l’église épiscopale saint Coleman, comme le manoir construit un peu plus haut vers 1800 et qui, plus que les îles, évoque le sud de l’Angleterre par son architecture. Jusqu’à l’arrêt de bus, antique lui aussi, qui abrite une vénérable chaise de salle à manger avec son rembourrage quasiment intact et son dossier ajouré.
Suite de la visite de l’île par ses paysages, ses rivages, ses animaux. Yell serait la capitale britannique de la loutre, alors suivre la côte pour vérifier. Pour l’instant, l’endroit semble surtout peuplé de moutons, tant dans les champs que dans le ciel avec des éclaircies, mais une météo bien remplie de nuages, pâles pour certains, mais pour beaucoup, plus sombres et menaçants et les averses seront aussi de la balade. Ne retenir que les superbes lumières qui permettent d’immortaliser des poneys facétieux et amicaux, des cabines téléphoniques très britanniques, de superbes paysages, des plages de sable, des dunes, des bateaux abandonnés sur les plages, des phoques. Mais pas de loutres. Il doit falloir les chercher plus activement, entraîner son regard pour les distinguer parmi les algues qui imitent à merveille leur pelage. Et puis se promener, suivre la route qui va vers le nord jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de route et revenir par la même route, un peu, puis suivre l’autre côté de l’île quand la route se divise. Et voir encore des poneys facétieux et amicaux, des cabines téléphoniques très britanniques, de superbes paysages, des plages de sable, des dunes, des bateaux abandonnés sur les plages, des phoques, mais pas exactement les mêmes, parce que l’endroit est différent, la lumière est différente, les moutons ont bougé, le phoque a plongé, les nuages ont laissé place au bleu du ciel. Se dire qu’on pourrait rester là, longtemps, très longtemps sans jamais se lasser.
Et puis y aller quand même, revenir à Ulsta, au terminal du ferry pour rentrer sur Mainland. Reprendre le ferry, voyage différent lui aussi, voir la terre s’éloigner alors qu’à l’aller elle se rapprochait, noter un détail, un autre, un autre encore.
Une fois sur Mainland, se diriger vers le sud, mais pas trop vite, en faisant s’allonger la route. Après Voe, prendre vers Laxo, Dury, Laxfirth, Brettabister et ses moutons joueurs, puis retour sur la A970 à Catfirth pour revenir à Lerwick où la nuit ne sera pas de trop pour savourer à nouveau, en souvenirs, la balade du jour en attendant demain, et une autre balade et d’autres souvenirs qu’on se promettra, eux aussi, de ne jamais oublier.