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Conte

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Il était une fois la brume épaisse et lente qui m’a emmenée là, vers ce mot jamais fade, si violent et si doux, ce joli mot de conte. Un conte. Privé de tout contexte le son est ambiguë. Compte, résultat d’un calcul, énumération, dénombrement, ou comte, haut féodal, dignitaire, noble par titre. Ici sera plutôt conte celui que l’on raconte, qu’on écoute, qu’on retient, souvenir, fondation, que les grands trop souvent réservent aux enfants.
Il était une fois comme un pas de côté, dans un tout autre monde que celui des journaux dans ce qui sera juste un peu plus fantastique, un petit peu moins réel. Le conte a bien sa place autant que la grande histoire pour expliquer le monde en images, en légendes, sagas, mythes ou bien fables, pour dire mêmement les peurs, les fondements, les valeurs qui rassemblent et les grandes importances, ce qui va réunir les êtres humains ensemble beaucoup mieux qu’un passeport, une couleur sur une carte ou un nom de tribu, de pays, d’origine. Contes des premiers temps quand fut créé le monde, rennes, ours, lichen et cendres et le son du tambour, ou bien l’aigle, la rivière, les lucioles, le hibou, le jaguar, la tortue qui raconte et la lune si claire à qui l’on peut parler sans se brûler les yeux ou le long nuage blanc que l’on voit de si loin. Contes de quand la nature avait toute l’importance qu’elle pourrait retrouver si on les entendait, ces contes des gens sages qui vivent le dehors jusqu’au dedans d’eux-mêmes, au centre de ces histoires qui nous disent les pensées, les chimères, les confiances comme elles disent le sensible, sans faire de distinction entre l’homme et la bête.
Il était une fois, un lieu comme un moment avec place pour le rêve, non pas juste à côté, mais bien là, juste au centre. Place pour tous les rêves, les beaux et les cauchemars, pas juste du tout rose, parce que dans les contes, on dévore et on tue, on disparait aussi, tout comme dans la vraie vie.
Il était une fois la vie des livres, tout comme la vie en vrai sans le vrai de la vie qui nous fait mélanger toutes les importances, une vie où le dehors serait nos pères et mères que l’on écouterait comme on écoute un conte

Pour vous laisser conter quelques contes, entre autres, c’est chez Laurent Peyronnet

Composition

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

L’être humain se compose assez largement d’eau. La sauce ravigote se compose classiquement d’une vinaigrette augmentée d’herbes fraiches, câpres et cornichons. La petite musique de nuit, composée par Mozart. Le mot composition comporte plusieurs sens, action de former un tout par assemblage, combinaison, mélange, à décliner suivant les domaines concernés, chimie, technologie, mathématiques, enseignement ou beaux-arts, entre autres. Composition s’accorde surtout avec questions, ces questions qu’on se pose, et qui suivant les cas nous empêchent de dormir, nous permettent de dormir, de faire avancer le monde, parfois celui de tous, plus souvent juste le nôtre. Dans nos vies vient et revient, le besoin de se pencher sur la composition, attrapé, rattrapé par les questions de base, qu’est ce qu’il y a dedans, qu’est-ce que je vais mettre dedans. Question de ce qui est et de ce qui sera. Qu’est-ce qu’il y a dedans, c’est la curiosité, l’analyse nécessaire, le besoin de savoir, qui orientera peut-être les décisions à venir pour savoir quoi grader, quoi laisser dans le cadre, quoi au contraire exclure, omettre avec conscience tout ce qu’on veut omettre. Occulter tout l’humain quand on veut faire nature en rêvant secrètement de même faire oublier que quand il y a photo, il y a photographe, quand il y a écriture, il y a qui écrit. Choisir ce qui pourra attirer l’œil timide ou prompt à s’évader, du plus clair ou du sombre, des lignes géométriques, des contrastes, des couleurs, des constructions classiques, suspens et coup de théâtre. Ou justement centrer sur la foule, sur les gens au point de même masquer ce qu’ils sont venus voir, admirer, découvrir. Pour ça décomposer, regarder en détail chacun des éléments, puis estimer leur poids dans la composition, éviter de son mieux les exagérations, les bords coupés trop courts ou bien coupés trop larges et puis s’interroger, quoi au centre, quoi au tiers, quoi dans l’œil de la spirale. Et puis recomposer, un livre tout nouveau fabriqué comme un puzzle, à partir de ce qu’on trouve en explorant le monde par décomposition, puis recomposition, avec ses règles à soi, comme la vie mode d’emploi

Éclipse

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Au départ une éclipse est une histoire d’étoiles, de planètes, de très loin, aussi d’ombres, de lumières, de ces alignements qui font lever les yeux. Ensuite le quotidien en a fait son jouet, l’a mise au figuré. Maintenant on dit éclipse pour un oui, pour un non, pour un jeu de cache-cache, je te vois, moi non plus. Pour les amis qui partent et qu’ensuite on retrouve, pour les baisses passagères et les obscurcissements. Nos vies sont faites d’éclipses, juste de nos va-et-vient, de nos hésitations, de nos hauts et nos bas et de nos inconstances. Nous sommes aidés en ça par tout l’autour de nous, le soleil et la pluie, le vent, le calme plat, les saisons qui reviennent, le jour et puis la nuit, les nuages qui cachent les montagnes d’en face, mais laissent parfois passer quelques rayons quand même, éclipse dans l’éclipse. Nos souvenirs aussi s’éclipsent de temps à autre, on ne se souvient plus de ce jour, de ce lieu, ce visage ou ce nom, cette voix toujours si grave. On ne se souvient pas d’avoir jamais vu ça, si peu de neige en décembre. Parfois on a raison et parfois on retrouve par la couleur des chaises ou qu’on était en retard, la veste d’un ami, le bouquin qu’on lisait, cet instant de nos vies que l’on croyait perdu qu’on vient de retrouver dans un éclat de sourire, un, mais oui je me souviens, qui cache derrière lui un monceau de détails qui feront notre bonheur le temps des retrouvailles. Entre éclipse et oubli, les idées, les pensées se poussent et se bousculent, urgent et important en combat permanent. Parfois, l’éclipse sera bienvenue pour nous faire changer d’air, distraire un peu nos têtes avant de replonger. Dans l’éclipse rien de grave, rien de définitif, reste toujours l’espoir de se revoir un jour, comme un auteur s’éclipse entre deux nouveaux livres. Jusqu’à ce que l’éclipse devienne disparition, qu’il ne nous reste plus que des livres à relire et plus aucun espoir d’enfin se rencontrer, autour des mots, des phrases, de pouvoir dire en vrai d’une voix trop fragile, j’aime beaucoup ce que vous faites, en rêvant secrètement d’en discuter des heures
5 décembre 2024, décès de Jacques Roubaud

Perspective

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Les perspectives d’avenir épargnées par le sombre sont de loin les plus rares. Plus souvent sur le monde est cette soif comme un gouffre de toujours faire combat, ces belliquosités qu’on peine tant à soigner. Perspective en dents de scie, ligne trop souvent brisée. Les perspectives d’espaces sont elles universelles, celles qui nous parlent tout bas de ces espèces d’espaces qu’on croit pourtant connaître, mais qui à chaque regard se dérobent et basculent, se griment et se transforment au moindre pas de côté qui déplace notre œil. Géométrie, dessin, plan en bleu très sérieux, projection et points de fuite, travail en perspective pour que tout soit exact. Retour aux règles de base, aux principes fondateurs qui nous donnent les clés pour faire de notre monde une copie aplanie, aplatie, compressée, repliée sur elle-même, pour essayer de dire cette dimension perdue. Oui, mais plier comment, les arêtes, les rondeurs, le choix sera décisif. Perspective cavalière, linéaire, centrale, conique, cylindrique, aérienne, isométrique, curviligne… Les possibilités abondent, alors choisir la bonne, celle qui convient le mieux de qui voudra l’écrire à qui voudra la lire. L’idée est de se comprendre, émettre le message, dire ce que les yeux ont vu de sorte que d’autres yeux puissent voir la même chose sans devoir se plier ni au lieu ni au temps. Ma perspective à moi fera exister l’objet, mais suivant mon point de vue, mes importances à moi. L’idée sera d’avoir un langage en commun pour vous la raconter. Savoir que les choses plus loin n’en seront que plus petites et plus pâles et plus fines. Oui, mais savoir aussi que la cime du sapin n’est pas seulement plus fine parce qu’elle est loin en haut, mais aussi car le tronc va en s’amincissant, évidence flagrante lorsque l’arbre est à terre, baleine des forêts aux côtes comme des branches, innombrables bras en croix. Trompeuses et pas si simples toutes ces perspectives-là, la vie sans mode d’emploi. Alors, continuer à écrire et écrire même si les premiers mots tout comme les derniers nous paraissent si loin qu’on s’en souvient à peine, qu’on les pressent à peine. Reste la belle perspective d’avancer dans le livre

Exposition

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Je vous écris d’une pièce exposée sud-ouest. La fenêtre fait le cadre, les arbres en pulls d’automne font la scène principale, les montagnes sombres de soir font le décor parfait qui va laisser la place au sujet principal. Le ciel fait le plafond qu’on regardera à peine parce qu’on sait qu’il est là. Une scène d’exposition. Des images de nature, paysages enchanteurs, il en faudrait plusieurs et dans un autre lieu que le chez moi privé, pour faire exposition au sens classique du mot. Présentation publique, pour une durée déterminée en un certain lieu, de produits agricoles, manufacturés ou d’œuvres d’art. Et puis exposition aura encore deux faces, pour celle qui visite ou celle qui propose, l’enjeu sera tout autre. Tout d’abord disposer d’un ensemble de choses qui pourront faire famille et puis ensuite choisir, peaufiner et montrer. Montrer ses choix, ses importances et sa façon à soi de découper le monde, de le mettre dans un cadre. Exposer, s’exposer, pas tant de différences, puisqu’exposer ses choix c’est exposer de soi. Exposer des photos sera double exposition, par la magie des mots qui ont parfois deux sens, parfois même beaucoup plus. Dans le cas de la photo, exposer le capteur, pellicule de maintenant, à tout le lumineux du sujet, de l’endroit, du bout de monde choisi. Puis faire exposition des images élues pour que d’autres que nous puissent y poser leurs yeux comme on les a posés, enfin presque tout comme. Peut-être même échanger avec ces humains-là sur la façon qu’on a de regarder le monde. Et puis recommencer, car dans exposition, il y a fuite en avant, puisque l’exposition, est position d’avant, comme on dit ex-ministre, ex-mari, ex tout court, pas besoin de préciser, un ex c’est du passé, aventure terminée. Alors exposition au début d’une histoire ? Quand il s’agit d’écrire, l’important n’est pas l’ex tant il est évident que lorsqu’on lit un texte ce texte est du passé pour celle qui l’a écrit, mais plutôt le posé, qui cadre comme on expose, qui dit le bout de monde qu’on va examiner dans tout ce qui va suivre. Ex poser, pro poser, dé poser, im poser, trans poser, finalement, qu’importe le préfixe, pourvu qu’on ait le livre

Imperceptible

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Imperceptible est venu imperceptiblement, par un adverbe très long qui dit des choses très fines, des changements tout petits, des glissements infimes, qui se perçoivent à peine, voire même pas du tout comme dit le préfixe im. Attendre pour percevoir que les imperceptibles se soient additionnés, se soient multipliés, ou attendre qu’ils nous manquent pour que par leur absence on puisse les percevoir. Une épice dans un plat, juste un je ne sais quoi, un petit goût de mais si, je ne connais que ça, ça va me revenir, je l’ai sur le bout de la langue ! Et ce mot qui se cache, qui se dérobe, s’échappe, est aussi un des signes de cet imperceptible, qui fait qu’on sera déçu quand on mangera ailleurs un plat du même nom, mais au goût décevant parce que manquera, cette fois, juste cette épice-là, dont on n’a pas le nom, mais dont le bout de la langue, lui, infailliblement, va percevoir l’absence. De même pour les sons, les petits bruits ténus, qui passent à peine le seuil, les sons presque fantômes, les battements d’ailes d’oiseau, les feuilles d’automne qui tombent, les paroles échangées juste avec le regard. Imperceptiblement, on est dans le temps qui passe, dans les étoiles qui bougent, mais qu’on ne voit pas bouger, on remarque simplement que l’arbre qui était là, juste sous la Grande Ourse, s’est un peu décalé. Mais le mouvement des astres est pour nos yeux à nous bientôt aussi discret que le changement de saison scruté d’un jour à l’autre quand on hésite encore entre nuages et neige pour le blanc des montagnes. Imperceptiblement, qu’on le souhaite ou non, le froid vient à l’hiver de manches longues, en bonnet, les rides viennent au visage et le gris aux cheveux, moins d’oiseaux dans les arbres, moins d’insectes dans les airs, comme une idée d’usure. Alors, redire le monde en choisissant les mots, écrire et réécrire, même lorsque les changements griffonnés dans le texte semblent imperceptibles, ils donneront quand même, à tous ceux qui liront, ce petit quelque chose qu’on a sur le bout de la langue et qui viendra toujours changer le goût des livres, imperceptiblement

Exploit

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Exploit. Action d’éclat, courageuse, héroïque, accomplie à la guerre à l’origine du mot, puis élargie à celles qui dépassent l’habitude. Dans tous les dictionnaires juste à côté d’exploit on trouvera exploiter. Exploit et exploiter sont deux mots de même famille, deux mots écartelés entre ironie acide et étymologie, avec côté exploit, le glamour du sportif, qu’on retrouvera moins sur une exploitation. Exploiter a souvent un petit côté sombre. Dans beaucoup trop de cas, il s’acoquinera avec des mots tels que pression, emprise, contrainte, avec exploitation au sens Proudhon du terme quand l’humain est en cause dans des rapports humains d’une grande dissymétrie. Exploiter, quand on parle de mine ou de forêt c’est prendre ce qui se trouve dans le sol, dans le bois, et en tirer profit, et ne pas laisser grand chose, ou au mieux juste de quoi exploiter davantage. Exploitation aussi dans de trop nombreux cas, pour cultiver la terre, nourrir les animaux dont on exploite la viande ou les œufs ou bien le lait, faire pousser les légumes, oignons, choux, pommes de terre quand exploiter la terre sans détruire ce qu’on exploite, au moins sans l’abimer, ça semblerait pourtant une sacrée bonne idée. Le mot n’y pourra rien de l’utilisation que chacun en fera. On exploite d’ailleurs autre chose autrement, sans prendre ce qui existe et ne laisser que du vide, comme l’arbre va exploiter la lumière du soleil pour se faire feuilles et branches, sans parler des racines, capable de construire des mètres cubes de bois, de bâtir des forêts. Exploiter la lumière pour la photo aussi, pour attraper le beau quand il se pose là et puis le partager avec qui était loin et n’aurait pas vu ça, ou pas vu ça comme ça. Au début exploiter c’était exécuter, accomplir et achever le labeur de chaque jour. Et puis sont arrivés toutes les variations et puis les changements de sens. Toutes ces variations et ces changements de sens, c’est tout ça qui complique quand il s’agit d’écrire et d’exploiter les mots, leur faire dire ce qu’on veut dire sans les laisser flapis, trahis, vidés. Qu’ils en sortent enrichis et non pas exploités, c’est chaque fois un exploit

Accent

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Il existe des accents presque pour tous les goûts. Les accents dans les voix, c’est la géographie qui nous vient aux oreilles. Dans l’endroit où l’on est, dans les bras familiers de la langue maternelle, on n’aura pas d’accent, l’accent ce sera les autres, ceux qui habitent loin, qui s’occupent autrement de leurs assaisonnements. Cet accent de la voix est celui du parlé, il se pose sur les mots quand ils sortent de la page pour faire vibrer l’espace, quand ils deviennent des sons. Les accents de l’écrit, de la typographie, eux, se posent sur les lettres, tant pour changer leur son que pour changer le sens des mots qu’ils ont construits. Mais sans aucune voix haute, tout ça restera là, juste entre soi et soi, juste dans nos têtes à nous, juste au bout de nos doigts qui déposent les accents, au crayon, au clavier, comme il faut sur les lettres pour que le sens y soit comme on voudrait qu’il soit. Car juste un petit accent peut faire tout basculer, de sûr on devient sur et adieu certitude. Ensuite les choses sont simples pour les accents convenus, ceux qui sont comme ils sont, même si je vous l’accorde, la tâche d’écrire tant de mots sans jamais bousculer orthographe et grammaire, est rarement vraiment simple. Mais perdre le tréma d’une action héroïque, ravalerait le héros au rang de batracien qui coasse dans sa marre, on serait dans le couac, plus dans l’admiration. Pour beaucoup d’autres sens, il revient à chacun de venir mettre l’accent là, juste où on veut le mettre, où on veut appuyer, peser de toutes ses forces. Mettre l’accent en photo sur telle partie de l’image, ou juste choisir le cadre, rajouter du contraste, jouer sur les couleurs, sous ou surexposer pour que l’effet soit là, car avec la lumière, il suffit d’une tache pour compliquer la tâche de qui photographie. Dans la cuisine aussi, les épices sont nombreuses pour venir amplifier tel goût ou bien tel autre. Et puis mettre l’accent n’est pas écrabouiller, tout est dans le dosage, la nuance, la mesure pour préserver l’effet, pour que le ô de Baudelaire garde toute sa puissance quand on lit Recueillement. Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille

Paysage

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Paysage. Étendue de pays que l’œil peut embrasser dans son ensemble. Un joli bout d’endroit, de l’espace plus petit découpé dans plus grand, découpé dans le tout, choisi, élu, offert par celui qui découpe à celui qui regarde. Dans nos têtes c’est souvent, un bout d’espace en pied, en habits du dimanche, avec sol et puis ciel, des nuages bien peignés, couleurs chaudes du lever ou du coucher de soleil, paysage pour l’histoire. Le cadre est pomponné, les poteaux, s’il y en a, finiront effacés, les bidons, les autos, chassés du paysage. Une belle photo n’est pas une pâle copie en plat de ce que nos yeux voient, tout ça passe par la tête et se frotte souvent fort à notre idée du beau. Parfois le paysage se fera plus urbain, béton, bitume, acier, parfois même jusqu’au sale qui fera la patine. Paysage dans l’espace autant que dans son temps. Le paysage sans humain sera bien moins marqué par le fil de l’histoire, mais plus par la saison, comme ces pics saupoudrés dans leur berceau d’automne. En l’absence de l’image, comme support pour nos yeux, les mots prendront le relais. Descriptions bien longuettes des livres de l’école, quand on est impatient et que le temps est autre face à l’infinie liste des choses à découvrir. Et puis on évolue, on goûte autrement les mots et puis les phrases qui nous emmènent ailleurs, on a de quoi bâtir, parmi nos références, des déserts et des îles, des lacs de toutes couleurs et des pics acérés, les mots, là, sous nos yeux disent des choses vues, des choses déjà construites dans un rêve antérieur. Les expériences vécues, les lectures, les images ont ajouté des prises sur les murs de nos têtes, gravir la paroi de mots se fait plus facilement, on arrive au sommet sans y avoir pensé. Les mots des descriptions, qu’ils soient mots de fiction ou bien de reportage nous donneront l’impression d’y être pour de vrai, d’avoir froid quand on lira glacier, hiver ou neige, d’embrasser dans notre œil, qui lit le noir sur blanc, la lumière sur les pentes, les forêts rousses d’automne, le brillant d’un cours d’eau, les volutes des nuages et l’iode de l’écume sur les falaises noires. Lecture de paysages

Journal

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Un journal, des journaux. Pluriel un peu piégeur pour qui apprend la langue, mais pluriel de rigueur pour parler de la presse, même si ce pluriel-là n’est pour beaucoup qu’un rêve, lointain, inaccessible, un regret regrettable. Les journaux de la presse, infos et analyses disent le monde de tous, de loin et de très loin. Pour dire le monde de près, restent nos journaux à nous, l’intime et le public pour le public qu’on connaît et puis qui nous connaît. Ranger pour retrouver comme sur une étagère tout ce qu’on veut garder et puis qui reviendra quand on aura la date, quand on aura le jour, on retrouvera tout le reste. Dans ces journaux de près on dirait les saisons, les chaudes couleurs de feuilles quand l’automne est au frais, les nuages et les brumes, les lourds orages d’été, les oiseaux apprêtés en robes de printemps et l’odeur forte des arbres qui se couvrent de fleurs. Dans ces journaux de près on baisserait les yeux pour voir les champignons, les insectes élégants, les feuilles aux longues nervures, méandres, ou deltas et les pierres et les herbes qui entourent les ruisseaux, ces gamins tapageurs. Dans ces journaux de près, dire aussi les angoisses, le rire, les sentiments, les peurs ou les rêveries, les colères et les larmes, pas juste le où, le quand, avec qui et puis quoi. Laisser dans ce journal ce qui vit dans nos têtes, pour mieux s’y retrouver et se regarder mieux, avec l’œil qui convient, revenir sur l’avant. Dans les journaux des autres, retrouver un peu de soi, retrouver du pour soi qui aidera à aller où on voudrait aller et à y aller mieux. Dans les journaux des autres si ces autres-là écrivent, lire les mots qui racontent comment les mots se cardent, se filent et puis se tissent pour nous donner à lire de chaudes couvertures, ou des broderies si fines que chaque fois on y trouve des motifs différents qu’on ne distinguait pas juste au premier coup d’oeil. Les journaux d’écrivain·e·s sont tout remplis d’écrits qui parlent d’écriture à ceux qui veulent écrire ou juste savoir comment les mots viennent au papier