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Jaune

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Il suffit de trois pas et d’un coup d’œil à gauche puis un coup d’œil à droite, elles sont toutes sous nos yeux. Pissenlits et narcisses primevères et forsythias avec tout autour d’elles des abeilles rayées qui s’accordent et s’alignent, une rayure sur deux, à leur jaune printanier. Le jaune des jonquilles, le jaune du printemps celui qui nous rajoute un peu de rose aux joues et peut-être même aux jours. Le jaune d’encore frisquet, mais de déjà moins froid, le jaune du bientôt vert, du grand retour des feuilles, pour qu’on puisse y écrire les histoires de l’été, de la saison du chaud, lui aussi bon ami du jaune et de ses teintes. On dit jaune et pas jone, et on l’écrira jaune avec au pour le o, le même que l’on retrouve par exemple dans Rimbaud, sinon le o serait jaune alors que chez Rimbaud le o c’est pour le bleu, le violet de Ses Yeux. Chez lui le o est bleu, bleu comme le ciel est bleu quand il fait beau et bleu, comme le ciel sans nuage, car les nuages sont blancs, blancs comme il voit le e, le e de dans la lune, de dedans la nuit noire, noire comme un a de mouche velue et éclatante, le noir profond et sombre, celui des cruautés, des puanteurs cruelles. Et quand revient le jour une fois refermées les portes de la nuit, les portes du noir et blanc, retrouver tous les jaunes sur les ailes des oiseaux, sur celles du chardonneret, sur celles de la mésange eux qui resteront bien jaunes quand beaucoup d’autres jaunes qui se mélangent au temps finiront dès l’automne en orangé de Chine, en ocre ou en garance, en carmin, en terre d’ombre, puis en brun comme l’humus et comme les feuilles mortes. Quand passeront les couleurs, de saison en saison, de pâlies en ternies, délavées ou fanées, resteront les voyelles pour les écrire encore quand elles ne sont plus là, ne sont que souvenirs de l’éclat foudroyant du violet de Ses Yeux

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Arthur Rimbaud