Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite
Mon œil ! Tout, pour comprendre l’idée, est dans l’exclamation, dans le trait et le point, et dans le geste aussi, l’index sous la paupière qui dévoile un peu de blanc de notre œil pas si bête pour signifier à l’autre qu’on ne croit pas un mot de ce qui est énoncé, des promesses de carton qu’on voudrait nous faire prendre pour des lanternes vraies, de quoi nous éclairer, alors que finalement, en y regardant bien, on a tout de suite vu, on a tout de suite su, qu’il n’y aura plus qu’ombre dans la lumière promise et que ceux qui y croient se mettent le doigt dans l’œil. Que nos yeux soient de biche ou de braise ou de lynx dans tout ce qu’ils perçoivent viendra se faire un choix. De ce qui est devant nous, nos têtes reçoivent l’image, c’est à elles que revient la tâche délicate, compliquée, décisive, de choisir dans l’image ce qu’on en retiendra, la chose, la couleur, la forme ou le détail qui nous tapera dans l’œil. À nos entendements revient aussi le devoir de ne pas se laisser faire, ne pas croire qu’il n’y a rien, là, derrière le brouillard, que ce qui éblouit n’est souvent que renvoi d’une lumière lointaine, que les couleurs, parfois, ne sont pas celles qu’on voit, que le flou vient de nous et non pas des objets. Ne pas se laisser croire qu’un arbre seul sur la crête est le seul alentour, que derrière la petite butte il n’y a que du blanc tandis que sur la carte et dans nos souvenirs, le relief est tout autre, de pics et de sommets, de cols et de vallées, encore couverts de neige quand leur pente le permet, bien loin des myrtilliers et des rhododendrons aux couleurs chatoyantes et aux courbes avenantes. Saisissant tout ce qu’ils peuvent pour peu qu’on ne les ferme pas, nos yeux nourrissent nos têtes, tout comme nos papilles, nos oreilles, notre nez et le bout de nos doigts. Mais ils ne sont pas seuls, ces sens qui font le lien entre soi et le monde, et voir ce qu’on ne voit pas ça se fait grâce aux mots, qui sont et resteront pour tous ceux qui s’en servent loin des aveuglements et des facilités de qui se contenterait d’un simple petit coup d’œil, la prunelle de leurs yeux
Un beau texte qui nous rappelle combien le fait de voir et de pouvoir contempler est un bonheur Merci Juliette
Merci pour ta lecture Sylvie et bien contente que mes mots trouvent écho par chez toi