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Au lecteur inconnu

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Tourbière des Saisies, Beaufortain, août 2023

Le passant inconnu qui passerait, trop rêveur et reclus dans sa tête, penserait vite que l’arbre est juste un arbre mort. Ne voir que les branches pâles, mélancoliques et nues quand les autres sont couvertes de vert et puis de feuilles, ne voir que le sec décharné du squelette en arêtes saillantes serait se contenter de l’extérieur des choses. Un souffle de passage, une plainte sans griefs. Ce serait ne se fier qu’aux seules apparences. Plus de sève, plus d’écorce, une ombre un peu plus mince étendue sur le sol. Mais tout ce qui demeure de l’arbre réduit en bois, d’autres s’en empareront pour en faire leur domaine, leur royaume bien à eux. Commencer par le haut, par exemple les oiseaux. Perchoir, nichoir, reposoir. Et les insectes aussi. Ceux qu’on attendrait là et puis les insolites qu’on attendrait ailleurs, il y aurait de la place pour tous ceux qui viendraient un moment tranquillement tirer les fibres de l’arbre comme on tourne les pages d’un bouquin déniché au milieu d’un tas d’autres qui ne lui ressemblent pas. Un livre qui serait écrit pour d’autres lecteurs que nous ou bien d’un autre temps ou bien d’un autre vent. Avec une autre idée de ce que les choses doivent être et puis de ce qu’elles sont. Soit des idées d’hier ou des idées d’ailleurs ou des idées bizarres, des idées d’apparences. Des idées qu’on ne met pas dans une lettre qu’on écrit à quelqu’un qu’on connait, à qui on dit tout bas que ce qu’on a en commun c’est important pour nous, que ça nous tient ensemble et que ça nous tient chaud. Du lecteur inconnu on a aucune idée de ce qui lui tient chaud. Nécessité, caprice, envie ou bien besoin, on ne serait pas d’accord sur beaucoup de ces choses, de l’incompréhension ou des mal entendus on en aurait sûrement, parfois plus parfois trop, ce serait la faute aux mots quand même aussi un peu, eux qui disent l’arbre mort quand y piaillent les oiseaux. Mais il y aurait peut-être un nuage de commun, ou plus sombre ou plus blanc, sur lequel en fin de compte, certains pourraient s’asseoir. Pari toujours osé de la publication, d’écrire une lettre trop longue destinée à quelqu’un que l’on ne connait pas

Merci à Antonin Crenn pour l’idée de la chute !