Archives par mot-clé : En passant

Birdcage Walk

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade londonienne, août 2022

La Birdcage Walk est une rue de ville avec sa partie centrale pour les voitures et deux larges trottoirs pour les piétons. Mais elle a un nom de souvenir, un petit air de campagne, de promenade.
D’un côté, le parc et son vert, ses bosquets, ses massifs, ses pelouses trop ras coupées pour les chaleurs de l’été, un peu d’eau poisseuse de paresse, des canards, des poules d’eau et quelques autres volatiles aquatiques. Les oiseaux qui vivent encore là semblent être restés entre bâtiments, voitures et passants, simplement pour rappeler ce que l’endroit était autrefois, un chemin, privé traversant avec style les volières de la famille royale anglaise dont le palais de Buckingham est tout proche.
De l’autre côté de la Birdcage Walk, des bâtiments dignes, historiques, aristocratiques. Acajou et encaustique, voix posées et pas feutrés. Fenêtres à guillotine avec petits carreaux, murs de briques, grilles et non grillage, pour signifier avec style que leur accès est réservé. Avec un esprit rêveur, on pourrait retrouver les ladies corsetées dans leurs robes encombrantes et les gentlemen étouffés par leurs cravates savantes, se promenant agrippés au bras l’un de l’autre, en parfait contraste de noir et de blanc sous l’ombre, elle, plus nuancée, des grands arbres. Les grands arbres sont les sages de l’endroit, ils observent, depuis les temps anciens, avec une prestance et une dignité suffisante pour avoir gagné les égards des urbanistes, l’évolution des piétons, des démarches et des déplacements sur la Birdcage Walk. Ce sont eux les témoins, sourires tranquilles au coin des branches, spectateurs amusés du passage d’un côté à l’autre de la rue, des cages et de leurs précieux spécimens à plumes

Camden, monde à deux têtes

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade londonienne, août 2022

Camden Lock, Londres, août 2022.

Il ne fait pas de différence. Il a assez de feuilles pour faire de l’ombre à tous, gens d’ici ou d’ailleurs, pierres, métal ou eau. Ses branches retombent, s’étirent, se penchent, rejoignent presque l’eau qui nourri ses racines, arbre à répétition, à chacun de ses étages qui s’en va vers le bas, racines vers le profond, et branches vers le sol, étages superposables. Il semble abandonner les envies de hauteurs qu’on prête aux autres arbres. Lui ne fera pas d’ombre au bâtiment de briques qu’il nous cache à moitié. Vert de la chlorophylle et sombres rouges des grands murs, couleurs complémentaires qui se révèlent l’une l’autre. Harmonie de contraires. Boutiques d’éphémères, de babioles, de bidules, clinquantes et clignotantes, casées tant bien que mal dans de vieux bâtiments, sols pavés, palissades et structures métalliques des temps industriels. Entrepôts, écuries ou hangars de stockage peuplés de frêles échoppes, repas à grignoter, magasins d’air du temps.
Complémentaire des quais, l’eau sombre des canaux qui passe sous les ponts, attend sagement postée aux portes de l’écluse et rappelle sereinement le passé de la ville. Accoudés à la rambarde, ils sont deux, tee-shirt bleu pour l’uniforme d’été sous le gilet de sauvetage automatique, rouge et réglementaire, ils boivent un mug de thé en discutant, tranquilles, sans attributs de punks ou appareils photos. Tout comme le saule pleureur, ils équilibrent le monde, sans eux l’endroit ne serait qu’un décor éphémère, des souvenirs en plastique, une scène de théâtre

Comme disait Hegel

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade parisienne, août 2022

Square Gabriel Pierne, Paris, août 2022

Ils sont trois, ils dissertent, discutent et se disputent un beau savoir tout neuf, un savoir d’école, de lecture, de papier, un nom qui revient tout le temps, Hegel. Pas question du dernier film, du resto d’hier soir, des vacances dans la tente, du soleil qui vous réchauffe le matin et arrête le temps, le temps pour lui de se lever tout rond juste aux-dessus des crêtes. Ce sont des discutions de têtes. L’un d’eux s’est assis par terre pour mieux voir celle et celui avec qui il parle, leur visages, leurs expressions, les gestes de leurs mains, la tête qui se penche, le coin de lèvres qui s’étire ou ce sourire qui monte. Parce que les discussions de l’esprit passent aussi par le corps. Les mots ne sortent pas comme ça, ils sont accompagnés par la bouche, par les lèvres, le cou et tous le muscles du visage, les paupières qui cachent un peu les yeux ou les dévoilent bien grand. Sans parler du corps tout entier, de ce pied qui s’agace dans la poussière du square, des mains évidemment, de cet index sûr de lui, du buste qui se penche pour mieux aller de l’avant dans cette discussion, de la main qui passe dans les cheveux et de la tête qui se tourne pour regarder ailleurs ou pour fournir à celui qui parle, son oreille la meilleure. Leurs yeux, leurs regards jouent dans un triangle. Ils sont trois, concentrés sur Hegel, ce qu’il a écrit, ce qu’ils ont lu, ce qu’on leur en a dit. Hors de leur triangle, il n’existe plus rien, dans le monde de leurs corps, il n’y a plus qu’eux, trois et encore pas vraiment. Ce qui prends toute la place, c’est le son de leurs voix, les idées qu’elles transportent et puis le son des mots et le sens qu’ils leur donnent. Il n’y a plus que ça. Aucun d’entre eux ne porte la plus petite attention au monsieur assis là sur sa chaise de parc posée sur les pavés. Il est un peu plus loin, exclu évidemment, du cercle qui regroupe leurs bouches et leurs oreilles, leurs cerveaux qui s’échauffent. À l’ombre sous les arbres qui câlinent la rencontre, il les écoute parler, disserter et débattre. Il ne fait qu’écouter, éloigné physiquement il n’est pas parmi eux et profite simplement des gouttelettes qui retombent projetées dans les airs par leurs trois jets de mots. Fontaines philosophiques, lui boira de votre eau

Les larmes du guetteur

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade parisienne, août 2022

Square du Vert Galant sur l’île de la cité, vu depuis le Pont des Arts, août 2022

L’extrémité de l’île de la cité est toute effilée, un coin de terre planté dans l’eau de la Seine. Pas assez de place pour une maison, ses murs, portes, fenêtres et balcons. Pas assez de place, les bipèdes ne savent pas se contenter d’une fissure pour y planter leurs racines, il leur faut du grand, du solide, des fondations. Ce bout d’île est un recoin laissé à la nature, un peu par dépit sûrement, un square triangulaire, le square du Vert Galant, un nom plein de promesses, et son saule pleureur, un nom plein de tristesses. Sans savoir qui était là le premier du square ou du saule, on imagine. Ses feuilles et ses branches tombantes cachent la taille de son tronc, ses rides, son âge. Depuis le Pont des Arts on n’y voit que du vert. Alors on imagine qu’il est là depuis le toujours de la ville, on imagine ce que ses branches ont abrité de bonheurs galants à cacher, ce qu’elles ont consolé de peines et de malheurs, à cacher bien souvent. On imagine tout ce que ses branches ont vu passer dans l’eau qui file comme le temps et lui raconte en passant l’histoire de cette île, de l’île de la Cité dont il est le guetteur, un historien muet qui sait tout, ne dit rien, nous laisse imaginer, toute la petite histoire, qui seule donnera vie à la grande, en l’abreuvant de ses larmes

Par dessus son épaule

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là

Place Louis Aragon, île Saint-Louis, Paris, août 2022

Depuis la place Louis Aragon sur l’île de la Cité, on voit la Seine en contrebas. L’eau coule doucement, elle peigne tranquillement les herbes de la rive de son passage paisible, leurs cheveux longs ondulent dans le vent du courant. Aujourd’hui il fait chaud, l’eau a une senteur d’eau qui ne courre pas trop vite, tout le monde recherche l’ombre, surtout l’ombre des arbres, ces mots obscurs et graves que les feuilles vous susurrent, qu’elles écrivent en lettres sombres sur les pierres claires du quai. Auteurs eux-mêmes de versets éphémères changeant de jour en jour et souvent d’heure en heure, de style et de sujet, cherchant l’inspiration dans les jours de grisailles, les arbres, pour retrouver un peu de nouveauté, pour avoir des idées, jettent un coup d’oeil discret par-dessus les épaules des lecteurs égarés, de ceux venus chercher le calme et le tranquille aux alentours de l’eau quitte à devoir braver les chaleurs de l’été.

Les marronniers du Luxembourg

En passant par Paris, pensées pour ces déracinés que sont les arbres plantés dans la ville

C’est le mois d’août. Août 2022, chaud et sec. Canicule, sécheresse, soleil, ciel bleu, trop bleu. Les feuilles commencent à bronzer, à brunir, à se flétrir et à se faner. À renoncer à leur vie de feuille sur l’arbre, à tomber, pour rejoindre sur le sable et le gravier des allées, les petits bouts d’anciennes branches devenues morceaux de bois, les mégots, tickets de métro, cellophanes et emballages de nourritures diverses. Mais il y en a encore suffisamment sur les arbres pour faire de l’ombre aux promeneurs. Ombre aussi aux immobiles, aux lecteurs et aux discuteurs qui ont trouvé des chaises libres parmi les lourds sièges gris-verts et les ont mis en cercle pour disputer sérieusement de l’important comme pour effleurer le frivole avec légèreté. Tous profitent du petit vent qui amène tantôt les effluves du crottin des poneys aux yeux vides scellés dans la promenade des enfants ou les parfums sucrés des grignotages de l’été. Un homme à casquette est assis sur une chaise. Il se tient droit, le dos droit, la tête droite, les mains posées sur les genoux, son sac à dos posé entre ses pieds rigoureusement symétriques. Il ne bouge pas. On suppose qu’il regarde droit devant lui à travers ses lunettes noires. Parfois ses lèvres bougent mais aucun son audible ne sort de sa bouche. Le temps passe en tourbillonnant devant lui, lui qui ne bouge pas. Les poussettes passent, les enfants passent en courant, les amoureux passent avec une seule démarche pour deux, un vieux monsieur très distingué passe, chapeau de paille contre le soleil. Il marche, la tête haute, il pousse ses pieds avec attention en s’appuyant sur une cane de bois patinée, son pantalon de toile claire retenu par une ceinture mais également par une paire de fines bretelles sombres sur une chemise de lin clair. Derrière lui, un peu de poussière vole en contrejour dans la lumière moins dure de la fin d’après-midi. Une poussière pâle qui marque les chaussures de ceux qui passent dans ce parc. Poussière sur les chaussures, et même un peu partout pour ces gamins à genoux sur le bord du bassin appelant de leurs yeux fascinés un bateau miniature qu’ils espèrent au grès des sautes de vent, fébriles et anxieux attendant que le modèle réduit vienne enfin à eux pour pouvoir, d’un geste vigoureux, le repousser loin, le plus loin possible, si loin qu’il faudra tout recommencer d’un autre coté du bassin, à genoux dans la poussière, priant pour que revienne celui qu’il vient de renvoyer. Mouvement perpétuel. Poussière aussi sur les chaussures des gardes en uniformes bleus, de grosses chaussures montantes dans le haut desquelles ils peuvent glisser le bas du pantalon, étroit en bas, plus large en haut surtout lorsque les poches sur le côté des cuisses sont remplies, leurs silhouettes en contre jour leur donne un peu du parfum d’aventure des officiers de cavalerie de la grande guerre. Sans le cheval, mais avec l’écusson sur la chemise bleu pâle, le trousseau de clés sonnant et, fixée à la ceinture, une radio qui égrène le lexique en vigueur, d’Affirmatif à Périmètre pour remplacer l’équivoque Zone.
Dans le même périmètre justement, les joueurs de basket aux dos luisants savourent par avance la baisse de la température qui accompagnera surement la douceur revenue de la lumière, l’arrivée des teintes chaudes du soir et de leur fraicheur, du sombre de la nuit. Instant fragile, quand la poussière commence à retomber, juste avant le retour au calme, la fermeture des grilles du jardin du Luxembourg.