Archives de catégorie : En passant

Dans les nuages

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Beaufortain, août 2023

Ce serait comme un voyage. Tout en légèreté, juste lever la tête, repenser un moment le poids de nos pensées qui fait pencher nos yeux. Avoir la mer juste là, parfaitement sous les yeux quand on regarde en l’air. Un bleu de bord de mer, pas trop de profondeur et puis un fond de sable pour garder le bleu clair, éviter le foncé des grandes profondeurs. Ensuite un peu de blanc, ou du bleu vraiment pâle, ou du bleu qu’on verrait juste à travers le blanc, comme des vaguelettes volages qui jouent sous la lumière, discrètes ondulations, filaments de courant. On aurait l’impression qu’on pourrait s’y baigner, y plonger quatre doigts, peut-être jusqu’à la paume et même un peu le pouce, pour sentir l’eau qui file, qui s’échappe et s’en va, légère comme une plume, elle emmènerait les feuilles des arbres des rivages. Un voyage tout léger, sur la pointe des pieds, tenter de s’appuyer avec les mains sur l’air, en oiseau idéal, avoir des bras en ailes, être couvert de plumes pour pouvoir tout écrire sur les feuilles des arbres

Merci à François Bon ( Tiers Livre ) et à ses 135 façons de sauver la terre . Pour l’inspiration et même un bout de phrase repiqué par ici

Borie

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Redortiers, Les Omergues, juillet 2023

Borie, cabane en pierres sèches. Reprise d’un ancien mot adapté au moderne pour dire la pierre calcaire quand cabane fait penser un peu trop au rondin, au bois et à la branche, à l’éphémère des planches bricolées, arrangées pour abriter les jeux des enfants du dehors. Mot adapté pour dire aux gens de maintenant ces cabanes de bergers, des pierres juste empilées, juste posées savamment les unes au dessus des autres, assemblées avec art, le grand art des beaux gestes, le savoir du regard qui passera par les mains de ceux qui vivaient là. Une cabane qui raconte sur le sec du plateau, le râpeux de la pierre et le rêche des toisons emmêlées aux épines, le juste nécessaire. Et le temps d’un orage ou celui d’un coup d’œil on retrouve en passant la sagesse des abris faits de pierres, juste de pierres, adaptation au manque qui se joue du terrain, qui ne laissera à l’avenir ni béton ni plastique. Juste une admiration pour le temps du coup d’œil, pour cette simplicité sincèrement authentique, une façon d’oublier un peu vite la durée, l’âpreté de ces vies toutes entières consacrées au service des troupeaux là-haut dans les montagnes

Lisez-leur des histoires !

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu, Paris, juin 2023

Ils sont assis l’un très près de l’autre sur un canapé rouge, un des sièges disponibles dans la grande salle ovale, Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu, Paris. Livres rares, livres en nombres, classiques, historiques, de partout, mais aussi livres pour tous. En entrant, sur la droite, albums illustrés. « 2 à 6 ans » dit l’étiquette collée sur les bacs à côté des fauteuils. Eux ont plus de six ans. Cheveux brun-gris pour lui, cheveux blond-gris pour elle, têtes penchées l’une vers l’autre. Elle a calé son épaule à elle sous son épaule à lui, il l’entoure de son bras. Ils ont choisi un album et le lisent à deux. Le livre est grand ouvert sur leurs quatre genoux. On pourrait presque lire l’histoire sur leurs visages. Surprise, étonnement, amusement, tristesse, angoisse et soulagement. Ils gardent pourtant tous deux le regard sur les pages, concentrés sur les mots comme sur les images, absorbés, captivés. Même sans savoir le titre, on sait tout de l’intrigue à chaque nouvelle page, front plissé d’inquiétude quand ça se corse un peu, ou bien soulagement pour une solution proche, un très léger sourire quand c’est attendrissant ou quatre belles fossettes quand c’est plus rigolo. Retourner en enfance, pensées pour un petit nouveau dans la famille, ils étaient juste beaux du bonheur de l’histoire, de ces histoires écrites pour les petits enfants, des histoires souvent simples, pas pour autant simplettes quand on y regarde mieux et qui embarquent encore quand on ne se retranche pas, barricadé derrière des barrières qui nous privent des délices des histoires, quelle que soit l’étiquette

Canal Saint-Martin

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Écluse du canal Saint-Martin, Paris, juin 2023

Écluse, écluser, éclusons. Un bassin, deux portes, amont et aval. Faire entrer l’eau d’un côté, la laisser ressortir de l’autre, fermer ici et ouvrir là pour que les bateaux puissent monter ou descendre la rivière sans avoir à monter ou descendre le courant. Prendre de l’altitude ou au contraire en perdre, par la seule force de l’eau et de l’ingéniosité d’ingénieux du passé. Rivière domptée enfermée, corsetée. Elle coule dans un lit qu’elle ne s’est pas choisi, même si elle coule encore, elle coule canalisée. Couler domptée est-ce toujours couler ou juste s’écouler ? Spectatrice de son cours sans pouvoir être actrice. Restent quelques oiseaux à voler tout autour. On ne les entend pas au milieu des voitures mais on les voit voler, où on ne peut pas marcher, où on ne peut pas nager parce que c’est dessiné sur la berge en béton et barré d’un trait rouge. Interdit de ceci, interdit de cela, de ces écluses de ville ne garder que de l’eau, se concentrer sur l’eau et sur le bruit de l’eau, sur les reflets de l’eau, sur tout ce que l’eau nous dit, oublier sa couleur, oublier son odeur. Se laisser transporter, partir en goutte à goutte, repartir de la source, de sa transparence pure qui se faufile sous la mousse, espiègle et opiniâtre, de ses bonds de chamois sur des pierres de torrents, de ses siestes lascives au milieu des fines herbes et des sabots de vaches, voir comme apprentissage de ce qu’elle ne veut pas, ce passage par la ville, ses voitures, ses immeubles, ses gens indifférents qui la regardent en cage comme dans un zoo, ronger ses portes d’écluse et sa mélancolie. Heureusement à la fin dans la vie de toute goutte viendra la grande mer, ses vagues et ses grands fonds, et ses lieux de légende beaux d’être inaccessibles, le maelström de Poe , les roches Douvres de Hugo ou bien l’île au trésor de R. L. Stevenson. À force d’écluser les rêves des passants, les eaux un temps soumises du canal Saint-Martin feront sûrement un jour des graines d’océan

Incendie de nuages

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Coucher de soleil, Queige, mai 2023

Ce soir-la, c’était coucher de soleil. Un peu comme tous les soirs mais pas vraiment tout comme. La couleur des nuages les faisait incendie, la couleur des branches hautes les faisait charbon noir. Feu de forêt, foyer dans la cime des feuillus, image fugace, éphémère, instantanée. Quelques secondes à peine, tout au plus une minute, le temps de déclencher, de cliquer sur l’écran, le temps d’un coup de fil, juste le temps d’un appel. Entre le bleu du jour et le noir de la nuit, le feu. Flamboyant, flambant, flammes, feu, incendie. De l’abstrait dans le ciel trop réel dans nos têtes. Contraste. Entre fournaise insatiable et douces couleurs tendres, raccourcis de pensée, court-circuit effrayant, l’étincelle de l’image. Au milieu du tranquille, comme un grand froid dans le dos, l’irruption du danger, de la mort, de la peur. Juste à cause d’une rencontre de formes et de couleurs, juste à cause de ce ciel, des innocents nuages teintés de fin du jour qui s’en iraient en flammes emmenés par le vent. Les couleurs toutes seules dans un coucher de soleil amènent d’ordinaire des images innocentes, moins dangereuses, plus bénignes, parfois même romantiques voire un brin désuètes. Un couple assis de dos, une couverture pour deux, et le soleil couchant sur une plage déserte. Luxe, calme et volupté. Là, non. La forme des nuages construit un épisode furieux et dramatique, nous le rend fascinant, on tremble pour le fragile de la beauté des lieux. La force de l’image nous porte vers le feu quand tout nous pousse au doux. Rêve et cauchemar mêlés qui se renvoient la balle bien trop rapidement pour qu’on puisse l’arrêter, pour qu’on en ait envie, fascination du drame. Le charme des Fleurs du mal

Collodion humide

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade photographique, Beaufort sur Doron, avril 2023

Tout commence devant la recyclerie. Objets mis au rebut qui vont reprendre vie, le symbole est parfait pour les essais du jour : photos au collodion humide avec Julien Dorol (@judorol)

Le collodion humide est un procédé photographique attribué à l’Anglais Frederick Scott Archer en 1851. En fait, le procédé était déjà connu dès le 1er juin 1850, date de la première publication du Traité pratique de photographie sur papier et sur verre par le Français Gustave Le Gray. Celui-ci fut le premier à remplacer l’albumine par le collodion pour fixer l’émulsion sur le verre.(Wikipedia)

Retour aux sources, curiosité, envie de tirages uniques d’une grande finesse et d’une douce subtilité dans les dégradés de gris. Simple envie de savoir, de voir, de comprendre les bases, du direct en direct, sans retouche, sans filet. Les raisons sont multiples pour revenir au collodion en nos temps numériques. Positifs ou négatifs, sur plaques de verre ou de métal, le collodion humide c’est une histoire de gestes, de gestuelle et d’expérience. De doigté. Tout commence par le collodion, c’est lui la base, la principale contrainte : il doit rester humide et il impose son temps. Tout doit être réglé, prêt et préparé avant le vrai début. La chambre calée sur son trépied devant l’ancienne tour qui s’écroule au milieu de son champ, à la fois protégée et étouffée par les arbres dans son délabrement et dans ses écroulements. Mise au point sur la fenêtre. Sous le voile noir, faire jouer le soufflet pour que l’image inversée soit parfaitement nette. Puis décentrer l’ensemble pour garder dans les lignes, sur le verre dépoli, parallèles et fuyantes. Leçon d’optique. Autre élément indispensable à préparer d’avance, le processus de développement. Endroit noir, juste une petite lampe rouge clair, produits à portée de main, tout comme l’eau de rinçage. Leçon de chimie.
Gants et lunettes de protection. Éloigner le chien qui vient trop près des bacs, chercher la compagnie. Action. Dévisser d’un petit tour le bocal de collodion et préparer la plaque. Enlever le film de protection, avec les gants donc sans les ongles… ne pas s’énerver. Verser le collodion, l’étaler. Chaque étape est cruciale, mais celle-ci donne son nom à tout le processus. Précisément doser le collodion, le trop formera des bourrelets sur les bords de la plaque, le pas assez laissera des zones blanches, métal non recouvert. Mouvement du poignet, agilité des doigts qui doivent tenir la plaque sans imprimer leur marque. Mouvements de crêpier pour étaler la pâte. Sensibiliser la plaque en la plongeant dans le nitrate d’argent à l’abri de la lumière. Magie et chimie, laisser le temps aux halogénures d’argent de s’installer confortablement sur leur matelas de collodion avant la projection. Transférer la plaque sensibilisée dans un châssis étanche à la lumière jusqu’à la chambre, l’installer. Exposer. Laisser la lumière entrer après avoir estimé, calculé et arrondi, le temps de pose. Fin de la prise de vue. Retour dans le châssis jusqu’au développement. Estimer le temps dans le bain de révélateur, rincer à l’eau pour arrêter la réaction, et regarder, à la lumière du jour. Si la photo est réussie, exposition et contraste bluffants, détails presque vivants qui font pointer l’index vers la plaque au milieu des « oh, et là ! », alors, fixer, rincer, puis appliquer un vernis pour conserver longtemps, voire très longtemps.

Ce jour-là, vent, poussière, froid, installation à perfectionner, fuite de lumière dans le châssis, première expérience en extérieur… Tant pis pour le longtemps, les plaques seront nettoyées pour être réutilisée. Échec ? Loin de là ! Avoir identifié les problèmes et envisager des solutions, voir les améliorations à apporter et surtout, avoir entrevu quelques unes des lignes de ce bâtiment dans les teintes si subtiles du collodion, la douceur des traits, la matérialité de tout le procédé, la fascination lorsque l’image apparait sur la plaque, tout un mélange d’époques, une technique historique qui revient à la vie, des instants de trois secondes et cette idée d’une image qui permettra au présent de rester dans l’avenir. Rien que du positif !

Birdcage Walk

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade londonienne, août 2022

La Birdcage Walk est une rue de ville avec sa partie centrale pour les voitures et deux larges trottoirs pour les piétons. Mais elle a un nom de souvenir, un petit air de campagne, de promenade.
D’un côté, le parc et son vert, ses bosquets, ses massifs, ses pelouses trop ras coupées pour les chaleurs de l’été, un peu d’eau poisseuse de paresse, des canards, des poules d’eau et quelques autres volatiles aquatiques. Les oiseaux qui vivent encore là semblent être restés entre bâtiments, voitures et passants, simplement pour rappeler ce que l’endroit était autrefois, un chemin, privé traversant avec style les volières de la famille royale anglaise dont le palais de Buckingham est tout proche.
De l’autre côté de la Birdcage Walk, des bâtiments dignes, historiques, aristocratiques. Acajou et encaustique, voix posées et pas feutrés. Fenêtres à guillotine avec petits carreaux, murs de briques, grilles et non grillage, pour signifier avec style que leur accès est réservé. Avec un esprit rêveur, on pourrait retrouver les ladies corsetées dans leurs robes encombrantes et les gentlemen étouffés par leurs cravates savantes, se promenant agrippés au bras l’un de l’autre, en parfait contraste de noir et de blanc sous l’ombre, elle, plus nuancée, des grands arbres. Les grands arbres sont les sages de l’endroit, ils observent, depuis les temps anciens, avec une prestance et une dignité suffisante pour avoir gagné les égards des urbanistes, l’évolution des piétons, des démarches et des déplacements sur la Birdcage Walk. Ce sont eux les témoins, sourires tranquilles au coin des branches, spectateurs amusés du passage d’un côté à l’autre de la rue, des cages et de leurs précieux spécimens à plumes

Camden, monde à deux têtes

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade londonienne, août 2022

Camden Lock, Londres, août 2022.

Il ne fait pas de différence. Il a assez de feuilles pour faire de l’ombre à tous, gens d’ici ou d’ailleurs, pierres, métal ou eau. Ses branches retombent, s’étirent, se penchent, rejoignent presque l’eau qui nourri ses racines, arbre à répétition, à chacun de ses étages qui s’en va vers le bas, racines vers le profond, et branches vers le sol, étages superposables. Il semble abandonner les envies de hauteurs qu’on prête aux autres arbres. Lui ne fera pas d’ombre au bâtiment de briques qu’il nous cache à moitié. Vert de la chlorophylle et sombres rouges des grands murs, couleurs complémentaires qui se révèlent l’une l’autre. Harmonie de contraires. Boutiques d’éphémères, de babioles, de bidules, clinquantes et clignotantes, casées tant bien que mal dans de vieux bâtiments, sols pavés, palissades et structures métalliques des temps industriels. Entrepôts, écuries ou hangars de stockage peuplés de frêles échoppes, repas à grignoter, magasins d’air du temps.
Complémentaire des quais, l’eau sombre des canaux qui passe sous les ponts, attend sagement postée aux portes de l’écluse et rappelle sereinement le passé de la ville. Accoudés à la rambarde, ils sont deux, tee-shirt bleu pour l’uniforme d’été sous le gilet de sauvetage automatique, rouge et réglementaire, ils boivent un mug de thé en discutant, tranquilles, sans attributs de punks ou appareils photos. Tout comme le saule pleureur, ils équilibrent le monde, sans eux l’endroit ne serait qu’un décor éphémère, des souvenirs en plastique, une scène de théâtre

Comme disait Hegel

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade parisienne, août 2022

Square Gabriel Pierne, Paris, août 2022

Ils sont trois, ils dissertent, discutent et se disputent un beau savoir tout neuf, un savoir d’école, de lecture, de papier, un nom qui revient tout le temps, Hegel. Pas question du dernier film, du resto d’hier soir, des vacances dans la tente, du soleil qui vous réchauffe le matin et arrête le temps, le temps pour lui de se lever tout rond juste aux-dessus des crêtes. Ce sont des discutions de têtes. L’un d’eux s’est assis par terre pour mieux voir celle et celui avec qui il parle, leur visages, leurs expressions, les gestes de leurs mains, la tête qui se penche, le coin de lèvres qui s’étire ou ce sourire qui monte. Parce que les discussions de l’esprit passent aussi par le corps. Les mots ne sortent pas comme ça, ils sont accompagnés par la bouche, par les lèvres, le cou et tous le muscles du visage, les paupières qui cachent un peu les yeux ou les dévoilent bien grand. Sans parler du corps tout entier, de ce pied qui s’agace dans la poussière du square, des mains évidemment, de cet index sûr de lui, du buste qui se penche pour mieux aller de l’avant dans cette discussion, de la main qui passe dans les cheveux et de la tête qui se tourne pour regarder ailleurs ou pour fournir à celui qui parle, son oreille la meilleure. Leurs yeux, leurs regards jouent dans un triangle. Ils sont trois, concentrés sur Hegel, ce qu’il a écrit, ce qu’ils ont lu, ce qu’on leur en a dit. Hors de leur triangle, il n’existe plus rien, dans le monde de leurs corps, il n’y a plus qu’eux, trois et encore pas vraiment. Ce qui prends toute la place, c’est le son de leurs voix, les idées qu’elles transportent et puis le son des mots et le sens qu’ils leur donnent. Il n’y a plus que ça. Aucun d’entre eux ne porte la plus petite attention au monsieur assis là sur sa chaise de parc posée sur les pavés. Il est un peu plus loin, exclu évidemment, du cercle qui regroupe leurs bouches et leurs oreilles, leurs cerveaux qui s’échauffent. À l’ombre sous les arbres qui câlinent la rencontre, il les écoute parler, disserter et débattre. Il ne fait qu’écouter, éloigné physiquement il n’est pas parmi eux et profite simplement des gouttelettes qui retombent projetées dans les airs par leurs trois jets de mots. Fontaines philosophiques, lui boira de votre eau

Les larmes du guetteur

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Balade parisienne, août 2022

Square du Vert Galant sur l’île de la cité, vu depuis le Pont des Arts, août 2022

L’extrémité de l’île de la cité est toute effilée, un coin de terre planté dans l’eau de la Seine. Pas assez de place pour une maison, ses murs, portes, fenêtres et balcons. Pas assez de place, les bipèdes ne savent pas se contenter d’une fissure pour y planter leurs racines, il leur faut du grand, du solide, des fondations. Ce bout d’île est un recoin laissé à la nature, un peu par dépit sûrement, un square triangulaire, le square du Vert Galant, un nom plein de promesses, et son saule pleureur, un nom plein de tristesses. Sans savoir qui était là le premier du square ou du saule, on imagine. Ses feuilles et ses branches tombantes cachent la taille de son tronc, ses rides, son âge. Depuis le Pont des Arts on n’y voit que du vert. Alors on imagine qu’il est là depuis le toujours de la ville, on imagine ce que ses branches ont abrité de bonheurs galants à cacher, ce qu’elles ont consolé de peines et de malheurs, à cacher bien souvent. On imagine tout ce que ses branches ont vu passer dans l’eau qui file comme le temps et lui raconte en passant l’histoire de cette île, de l’île de la Cité dont il est le guetteur, un historien muet qui sait tout, ne dit rien, nous laisse imaginer, toute la petite histoire, qui seule donnera vie à la grande, en l’abreuvant de ses larmes